Un pèlerinage sous fond de politique

Près d’un million et demi de fidèles ont afflué à La Mecque en Arabie saoudite  ce jeudi pour accomplir le pèlerinage, qui se déroule du 10 au 14 septembre. Mais cette année, le pèlerinage, où près de deux millions de personnes vont se retrouver, a lieu dans une ambiance tendue.

La ville sainte garde le souvenir du mouvement de foule meurtrier de l’an dernier où presque 2200 personnes ont perdu la vie, d’après les chiffres publiés par les gouvernements des pays d’origine des victimes. Ces informations ont été démenties par l’Arabie saoudite qui parle plutôt de 800 décès. Cet accident marque encore les relations entre l’Arabie saoudite et l’Iran, pays qui a eu le plus de victime.Et même si des mesures de sécurité ont été mises en place, les Iraniens ne pourront pas participer au pèlerinage faute d’accord trouvé avec l’Arabie saoudite. Une première depuis trois décennies.

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La foule autour de la Kaaba durant le Hadj, ouest-france.fr

Échange de mots violent entre l’Iran et l’Arabie saoudite

L’ayatollah Khamenei, guide suprême iranien chiite, a reçu mercredi les familles des pèlerins iraniens morts il y a un an. Il en a profité pour lancer de violentes attaques contre son ennemi, l’Arabie saoudite sunnite. L’Iran « ne pardonnera jamais pour le sang versé de ces martyrs », a déclaré mercredi le président iranien, Hassan Rohani. Les deux plus hauts responsables iraniens reprochent notamment aux dirigeants saoudiens de n’avoir jamais présenté d’excuses pour les morts de la catastrophe et de refuser d’autoriser une commission d’enquête islamique internationale.

En réponse, l’Arabie saoudite a condamné ces déclarations. Les propos d’Ali Khamenei sont « une claire incitation et une tentative désespérée de politiser le rite » du pèlerinage, a ainsi dénoncé mercredi le secrétaire général du Conseil de coopération du Golfe. Le grand mufti saoudien, cheikh Abdel Aziz al-Cheikh, a affirmé que les Iraniens « ne sont pas des musulmans ». Cette violente passe d’armes intervient alors qu’en mai, l’Iran avait fait savoir que les Iraniens ne pourraient pas se rendre à La Mecque cette année, invoquant la mauvaise volonté du gouvernement saoudien. Les négociations entre l’Iran et l’Arabie ont notamment échoué en raison de l’absence d’indemnisation pour les familles des Iraniens morts dans le mouvement de foule de 2015.

Le ministre saoudien des affaires étrangères avait reproché à l’Iran d’avoir exigé des conditions « inacceptables » à la participation d’Iraniens cette année. Vendredi, plusieurs milliers d’Iraniens sont allés manifester dans les rues de Téhéran pour protester contre leur exclusion du pèlerinage. Les manifestants montraient leur hostilité face aux dirigeants saoudiens.

Sécurité renforcée après une année 2015 sanglante

C’était l’épisode le plus tragique depuis vingt-cinq ans pour le pèlerinage de La Mecque. La rencontre entre deux flux de pèlerins, l’un quittant le site saint, l’autre arrivant en sens inverse, a provoqué une catastrophe au bilan extrêmement lourd.

Le surnombre de fidèles, qui accèdent au site par des tunnels et des voies suspendues, a souvent engendré des accidents. En 2006, 360 pèlerins étaient morts dans une bousculade. Et en 1990, 1 400 personnes sont mortes piétinées. Pour éviter de nouveaux mouvements de foules, l’Arabie saoudite a renforcé ses mesures de sécurité. Les pèlerins seront ainsi équipés d’un bracelet électronique, qui contiendra notamment leurs données médicales, la date d’entrée dans le royaume ou encore le numéro du passeport.

C’est une manière pour Khamenei de mettre une pression supplémentaire compte tenu des tensions entre les deux pays. L’Arabie saoudite n’entretient plus de relations avec l’Iran depuis l’attaque de son ambassade à Téhéran le 2 janvier dernier par des manifestants iraniens, en signe de contestation contre l’exécution de l’imam chiite saoudien Baqr al-Nimr. La rupture paralyse une région en proie à de nombreux conflits, la privant de négociations pourtant indispensables. Cette léthargie agit sur le hadj, certes, mais également et surtout sur la situation en Syrie, au Yémen et en Irak, où les bilans des différents conflits continuent de s’aggraver.

Emanuel Tychonowicz

Le Hajj (2/2) : la bousculade crée des tensions internationales

Le 24 septembre 2015, un nombre considérable de pèlerins trouvèrent la mort à Mina au cours du pèlerinage à la Mecque. Les raisons de ce drame sont encore obscures et l’Arabie communique peu autour. Mouvements de foules, simple bousculade ou tension intercommunautaire ? Nul ne le sait. Et pourtant cet événement est loin d’être oublié dans le monde musulman. Nous tenterons donc ici de comprendre les tenants et aboutissants internationaux d’une telle bousculade.

Déclarations officielles et guerres des chiffres

Le jour même du drame, Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations-Unis, s’est montré “attristé d’apprendre que plus de 700 pèlerins du Hajj [aient] trouvé la mort”. Le gouvernement saoudien semble tenter de mettre sous le boisseau l’événement et ses vrais chiffres, tant et si bien que le site internet du ministère du Hajj ne mentionne même pas l’événement. Néanmoins, il y a fort à parier que Riyad remette en cause sa façon d’accueillir les pèlerins, car le gouvernement ne cesse de se justifier en mettant en avant ses efforts pour moderniser les infrastructures du Hajj. Les jours qui suivirent, le gouvernement promit de faire une enquête transparente sur le drame dont nous n’avons encore aucune nouvelle. Les seuls chiffres officiels délivrés par l’Arabie saoudite sont les suivants : de 769 morts et 934 blessés. Ils n’ont pas été renouvelés par le gouvernement depuis le lendemain du drame. En revanche, les informations collectées auprès de plus de 34 États infirment et réhaussent ces chiffres, déclarant que 2.097 musulmans seraient décédés. Des organes de presse iraniens affichent le chiffre de 4.700 morts voire 7.000. Cette liste par nationalité bien que non-officielle mérite d’être consultée pour avoir au moins une idée des nations les plus touchées.

Sentiments sur la toile

Les réactions furent vives sur la toile. Nombreux sont ceux qui dénoncent l’incompétence du gouvernement saoudien qui se contenterait de profiter des retombées économiques du pèlerinage. Mais toutes les théories sont possibles. Quelques uns accusent l’Iran d’avoir volontairement tué les pèlerins. Des dirigeants et imams saoudiens mettent la faute sur le dos de l’indiscipline des africains, et des blogs expliquent que la foule se serait amassée à cause d’un barrage de police protégeant le passage d’un prince saoudien. Pour finir, des complotistes accusent l’Arabie saoudite et Israël d’avoir délibérément orchestré la bousculade. Le silence du royaume saoudien permet en réalité toutes les interprétations puisque l’on ne sait même pas si des saoudiens sont morts. Sur Facebook des membres de différents pays africains se partagent photos et listes afin d’identifier les corps et les survivants.

Des pays africains endeuillés et lésés

Après l’Iran, le Mali est le pays le plus touché avec près de 300 morts puis le Nigeria et l’Égypte avec 200 morts chacun. Certains pays, pourtant moins touchés par les événements, ont mis en place des cellules de crise (comme le Sénégal) ou un numéro vert pour informer les citoyens (comme en France). De nombreuses familles africaines témoignent. Certaines ont perdu des membres de leur famille sans parvenir à obtenir aucune nouvelle, d’autres remercient Dieu d’avoir été seulement piétinés. Malgré la présence de ces témoins sur place, ils ne peuvent pas nous expliquer les causes du drame. Les familles des victimes se sont rapprochées pour former un front unis face au mutisme des gouvernements en panne d’informations. Les procédures d’identification furent très longues et les États impuissants. Plus longues encore et probablement vaines furent les démarches visant à recevoir une indemnisation de la part de Riyad. Le Niger s’est déjà engagé à indemniser les familles des 101 morts et disparus lors du Hajj, face à l’absence de mouvement du côté saoudien.

La colère de l’Iran

Les citoyens de la République Islamique d’Iran sont de loin ceux qui périrent en plus grand nombre. PressTV (un organe anglophone de la presse iranienne) déclarait, deux mois après les faits, que 465 iraniens y perdirent la vie. On sait déjà combien les relations sont tendues entre l’illégitime pétromonarchie sunnite et le régime issu de la révolution islamique. Les deux États  se disputent l’influence régionale. Déjà, lors du drame du 31 juillet 1987 où des pèlerins iraniens décédèrent, l’Iran proposa que le roi Al-Saoud soit démis de son titre de gardien des lieux saints de l’Islam. Aujourd’hui, sur fond de guerre au Yémen, l’État iranien souhaiterait que la face néfaste et cachée de l’Arabie saoudite éclate au grand jour. Les déclarations du président et du guide suprême commencèrent par accuser l’incompétence saoudienne notamment auprès des Nations-Unies. Les Iraniens demandèrent aussi auprès de Riyad le droit de participer à l’enquête sur la tragédie. Lorsque les corps des iraniens revinrent sur le sol de la RII, le président Rouhani tint un discours éloquent qui en dit long sur l’inimitié cultivée entre les deux pays : “Nous n’oublions pas le sang de nos bien-aimés compatriotes […] Nous avons été suffisamment longtemps polis et fraternels, à partir de maintenant nous utiliserons un langage autoritaire si cela nous paraît nécessaire”. L’ambassadeur iranien auprès du Liban mourut lors du pèlerinage. L’opinion publique iranienne en fit une figure nationale du martyre. N’oublions pas qu’une part de l’identité chiite se fonde sur la persécution par les sunnites qui est représentée dans les rites d’Ashura. Le guide suprême se scandalise du silence occidentale sur le drame, dénonçant ainsi des droits de l’homme à deux vitesses.

DR – Des iraniens portent le cercueil de Ghazanfar Roknabadi, ambassadeur de l’Iran auprès du Liban, à Téhéran le 27 novembre 2015.

Hypothèse

Pour finir, il faudrait avancer une hypothétique cause du drame. Il semble que certaines foules ne se mélangent pas. Les iraniens et autres chiites restent sans doute entre eux pour vivre le pèlerinage selon d’autres horaires de déplacements que les sunnites (qui eux-mêmes se divisent sans doute par continent et nationalité). La rencontre de deux cortèges denses partageants des différends idéologiques, put aisément déboucher sur un heurt qui dégénéra. Telle est la cause la plus probable pour expliquer les impressionnants chiffres d’une simple “bousculade”.

LOBIT Marc

Le Hajj (1/2) : les périls d’une obligation religieuse

Le 24 septembre dernier, l’ensemble des pays musulmans furent endeuillés par une “bousculade” qui fit plusieurs centaines voire milliers de morts lors du pèlerinage à la Mecque (en arabe : le Hajj). Cet événement est éminemment complexe, les causes sont encore mal identifiées et l’on peine à trouver de communiqués récents et crédibles de la part de l’État saoudien sur le sujet. En vue de mieux comprendre cet événement, nous commencerons par étudier le Hajj en tant que tel, sa centralité dans l’Islam et les risques qu’il comporte.

Aux origines du Hajj

Le pèlerinage à la Mecque est une tradition pré-islamique. La Mecque jouissait dans l’antiquité d’une position centrale pour les nombreuses caravanes du Moyen-Orient. Ce pèlerinage bédouin réunissait différentes tribus arabes dans le cadre d’une trêve autour des idoles mecquoises. Malgré son origine apparemment païenne, l’Islam a, par inculturation, réinventé l’origine du lieu saint de la Mecque en reliant ce dernier à l’histoire d’Abraham conformément à une interprétation commune des versets 124-128 de la sourate 2.

Mahomet pratiqua l’un de ses pèlerinages et en profita même pour investir la ville avec ses compagnons en armes. Il débarrassa la Ka’aba de ses idoles et ne conserva que la pierre noire. Suite à ses succès militaires et sa réussite sociale à la tête des tribus arabes, il fit du pèlerinage un événement central et fit son discours d’adieu aux musulmans sur le mont à Arafat en face de la Mecque. Connu pour être l’un des cinq piliers de l’Islam, le Coran fait du Hajj une obligation du croyant dans la sourate éponyme – la 22 – aux versets 26-30.

Affluence

Le pèlerinage se déroule chaque année à la même date (du 8 au 12 du dernier mois du calendrier musulman – Dhu Al-Hijjah qui signifie le mois du Pèlerinage). Les différents rites suivent un ordonnancement précis dans le temps et l’espace. Le tout se déroule dans un large périmètre comprenant La Mecque, Médine et Djedda. Ce territoire est strictement interdit aux non-musulmans (cf. Coran IX, 28). Cette interdiction peut paraître cocasse puisque l’ensemble de la population saoudienne est sensée être musulmane. Rappelons que les symboles des autres religions, telles que les croix, sont interdits sur le sol saoudien (cf. documentaire sur les étonnantes conséquences de l’interdiction de la croix suisse).

Chaque année les centaines de milliers de pèlerins arrivent aux mêmes dates sur le territoire qui leur est réservé via l’interface multimodale de Djedda. En 2012, ils étaient 3 millions de pèlerins. Depuis, le nombre est redescendu à 2 millions. Cette masse immense représente un enjeu de taille pour l’État saoudien qui, comme de nombreux États musulmans, possède un ministère du Hajj mais qui lui n’a pas la responsabilité de ses seuls ressortissants. La dynastie saoudite y joue sa légitimité car celle-ci ne repose pas sur une ascendance jusqu’aux califes mais sur deux faits : l’argent du pétrole et l’auto-proclamation des rois Al-Saoud au titre de “défenseur des deux saintes mosquées” (la Mecque et Médine).

Risques sécuritaires

Outre le risques de violences et de bousculades dont nous reparlerons ci-après, cette forte concentration d’individus d’âge souvent élevé, vivant les mêmes rites éreintant et habillés de peu (l’habit blanc pour représenter l’état de pureté nécessaire au pèlerinage) nous laisse déjà subodorer que ces personnes affaiblis sont des victimes faciles. La cohabitation durant une semaine de populations du monde entier pose problème. La plupart étant issus de pays pauvres au système sanitaire peu développé (Afrique subsaharienne, Asie du Sud…), les contagions ne sont pas rares. Suite à l’épidémie saoudienne de méningite procédant du Hajj de 1987, le gouvernement saoudien mit en place une obligation de procéder à certains vaccins (fièvre jaune, polio…) avant d’obtenir un visa. Il semble que l’État saoudien mette sans cesse à jour ses infrastructures en vue de mieux accueillir les pèlerins. Cela n’empêche pas un incendie décimant 343 pèlerins en 1997, puis l’effondrement d’un hôtel mecquois tuant plus de 76 personnes en 2006 et la chute d’une grue faisant 118 morts en 2015 dans la grande Mosquée. Le risque majeur vient toutefois de la densité de la foule, des bousculades, des violences et du piétinement des pèlerins par les pèlerins. Le gouvernement a donc réduit le nombre de visas qu’il délivre selon un système de quotas. Elle permet l’obtention de 1.000 visas pour le Hajj à chaque million d’habitant dans le pays concerné.

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DR – Des secouristes saoudiens le 24 septembre 2015 à Mina.

Trois grands drames représentatifs

Relevons donc trois événements douloureux de l’histoire contemporaine du Hajj dont les causes principales pourraient être celles du drame du 24 septembre.

– Il existe un rite violent se déroulant durant les derniers jours du Hajj. Il consiste à lapider, à l’aide de 49 pierres ramassées à Muzdalifah, trois colonnes symbolisant trois tentations du Shaytan. Malgré la récente transformation de ces colonnes en murs pour des raisons de sécurité de nombreux pèlerins trouvent la mort au cours de ce rite à Mina. Le 12 janvier 2006, au moins 346 fidèles en moururent.

– La densité des foules durant le Hajj est un facteur explicatif de ces hautes mortalités. Il faut savoir que ces foules peuvent atteindre jusqu’à 9 personnes au mètre carré, alors qu’une foule n’est plus fluide et donc dangereuse à partir de 7 personnes au mètre carré. Le choix des individualités ne joue dans ce genre de foule quasiment plus aucun rôle. La rencontre de deux flux bidirectionnelles même non-violents, ou encore le franchissement d’un obstacle quelconque peuvent ici se révéler mortels. 1426 pèlerins pour la plupart malaysiens, indonésiens et pakistanais moururent suite à des mouvements de panique dans un tunnel près de Mina le 2 juillet 1990. Certains avancent aussi une panne du système de ventilation du tunnel.

– Les oppositions politiques et confessionnelles parmi les musulmans peuvent aussi conduire à de nombreux décès. Depuis 1981, les pèlerins iraniens faisaient une manifestation annuelle contre l’impérialisme américain et le sionisme à l’occasion du Hajj, profitant ainsi de la visibilité qu’offre le pèlerinage. Mais le 31 juillet 1987, la manifestation fut stoppée par la police saoudienne et il y eut des heurts. 402 personnes moururent dont 85 policiers saoudiens et le reste de pèlerins. Depuis lors les manifestations politiques sont interdites durant le pèlerinage.

Ces diverses violences du pèlerinage provoquent incompréhension, ressentiment et haine entre les pays musulmans. La dernière en date, toujours entourée de mystère, témoigne de l’écho international.

(suite le l’article sur : la tragédie de Mina le 24 septembre 2015)

LOBIT Marc

L’accord de l’ONU à propos du cas Syrien

Enfin, un semblant d’accord voit le jour malgré encore quelques dissensions. En quatre ans et demi de guerre, jamais le Conseil de sécurité de l’ONU n’avait réussi à se mettre d’accord sur une sortie de crise politique en Syrie. Mais sur le fond, la résolution pour un processus de paix en Syrie a été votée à l’unanimité par les 15 membres du Conseil ce vendredi 18 décembre. Néanmoins, la question de la gouvernance de la Syrie d’après-guerre reste entière.

 

Élections dans les dix-huit mois

Le texte qui a été adopté en fin de journée prévoit la mise en place d’une transition politique avec un calendrier précis. Après six mois, le processus doit établir « une gouvernance crédible » veillant à la préservation des institutions et qui se devra d’écrire une nouvelle Constitution. Des élections « libres et justes » doivent être organisées sous la supervision de l’ONU dans les dix-huit mois. Sur proposition française, la résolution exige l’application immédiate de mesures de confiance humanitaires, telles que la fin des bombardements indiscriminés, la protection des civils ainsi que des installations et personnels médicaux.

Ce cessez-le-feu ne met pas fin à la guerre. Il « ne s’appliquera pas aux actions offensives et défensives » contre l’organisation État islamique (EI) et le Front Al-Nosra, la branche syrienne d’Al-Qaïda, menées notamment par la coalition internationale de lutte contre l’EI. John Kerry a d’ailleurs à nouveau invité la Russie à concentrer ses frappes sur ces groupes terroristes, et non sur l’opposition anti-Assad soutenue par Washington et ses alliés.

Les points de divergence restent nombreux et l’incertitude demeure sur la possibilité de transformer le consensus obtenu sur le papier en réel changement sur le terrain. John Kerry s’est dit « sans illusions sur les obstacles qui existent… surtout sur l’avenir du président Assad ». Aucune mention n’est faite dans le texte du sort de Bachar Al-Assad, sur lequel la Russie et l’Iran ont bloqué toute discussion explicite.

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Vue d’ensemble de la réunion du Groupe international d’appui pour la Syrie (ISSG) à New York. Photo ONU/Cia Pak

« Identifier les terroristes »

Même dans l’éventualité où M. Assad n’était pas écarté du pouvoir lors de la transition, la participation prévue des Syriens réfugiés à l’étranger à une élection supervisée par l’ONU pourrait signer sa défaite.

L’accord laisse également entière la question de la composition de la délégation de l’opposition qui ira négocier face au régime. La conférence qui a réuni un large spectre de l’opposition politique et militaire syrienne à Riyad, du 9 au 11 décembre doit« être un pilier des négociations et asseoir le socle du dialogue intersyrien » d’après la France. Mais Damas, Moscou et Téhéran ont vivement critiqué cette initiative saoudienne et dénoncent la présence en son sein de groupes « terroristes ». Cette liste, qui inclut uniquement à ce stade l’EI et le Front Al-Nosra, est encore loin d’être finalisée. La Jordanie a présenté un document qui contiendrait, de source diplomatique, « une centaine de noms ».

Les vives discussions attendues sur la composition de ces deux listes compromettent déjà la tenue du calendrier de transition. Les invitations pourraient être lancées début janvier, a estimé M. de Mistura, pour une première rencontre courant ou fin janvier. L’interrogation subsiste sur la volonté dans les deux camps de se retrouver à la même table, bien que John Kerry ait dit avoir obtenu mardi à Moscou l’assurance du président Vladimir Poutine que Bachar Al-Assad était « prêt à collaborer à une transition politique et à adhérer au principe d’une élection ».

Emanuel Tychonowicz

Boko Haram de la secte au mouvement insurectionnel

Créé en 2002 par Mohammed Yusuf dans l’Etat  de Maiduguri au Nord Est du Nigéria, ce groupe, le 22 mai 2014, a été déclaré comme étant une organisation terroriste par le conseil des nations unies, il a d’ailleurs depuis le 7 mars 2015, prêté allégeance à l’Etat Islamique pour devenir de manière officiel une « province de l’Etat Islamique ».

Logo De Boko Haram

Logo De Boko Haram

Son Origine

Nous ne pouvons définir ce que représente Boko Haram sans comprendre sa signification. Pour Marc antoine Pérouse « le groupe tient à la fois de la secte et du mouvement social ». Devant ce fait, la compréhension des motivations de ce groupe peut se résumer en analysant les termes. Le terme « Boko » fait débat, selon le journal « Le Monde » il viendrait du mot anglais « Book », selon d’autres observateurs, « Boko » serait le nom que les Nigérians ont donné à un alphabet latin, imposé pendant la période colonial et qui avait pour but de mettre par écrit la langue endémique du pays, le Haoussais. Le mot « Haram » lui signifie « illicite ». En clair, Boko Haram représente « le rejet d’un enseignement perverti par l’occidentalisation ». Il faut prendre en compte un détail important, ce nom n’a pas été décidé par le leader. Bien qu’obscur, il semblerait que ce soit les médias et les populations locales qui devant la doctrine proposée par Mohammed Yusuf aient donné ce nom.

Son Ideologie et son développement jusqu’à 2009

Mohammed Yusuf dénonce la corruption de l’Etat nigérian. Souvent comparé aux talibans Afghans, les fidèles de Boko Haram sont surtout issus des écoles coraniques, leur but ultime, est d’imposer et d’instaurer un califat afin d’appliquer la Charia. Le Groupe, depuis sa création a une lecture très terre à terre du Coran ou aucune interprétation n’est possible. A la base, la contestation n’était pas dirigée contre les catégories religieuses, mais contre le gouvernement. C’est au fur et à mesure et de par la négligence des gouvernements que de nombreux affrontements eurent lieu et qu’ainsi Boko Haram a pu se développer et devenir une puissante organisation terroriste. C’est notamment entre 2004 et 2006 que débuteront des affrontements contre les forces militaires et de polices qui déboucheront sur l’arrestation momentanée de Mohammed Yusuf, qui sera libéré en 2008. En 2009, Mohammed yusuf est tué par des agents de police suite à l’attaque armée de Boko haram sur quatre villes du Nigéria.

Un changement dans la politique du groupe

Aboubakar Shekau, leader de Boko Haram depuis Juillet 2010

Aboubakar Shekau, leader de Boko Haram depuis Juillet 2010

Suite à la mort de leur leader, la secte va devenir clandestine et les différents membres de la secte vont s’enfuir pour éviter la prison ou la mort. C’est Abubakar Shekau qui lors d’une vidéo va s’auto proclamer comme étant le nouveau leader en juillet 2010, en reprenant le commandement de la secte, il va par ailleurs la transformer en un mouvement insurrectionnel de type religieux. Depuis 2013, les gouvernements qui avaient pourtant sous estimé le groupe, se lancent dans une véritable guerre pour contrer l’influence de plus en plus importante du groupe. Ce dernier a par ailleurs intensifié ces combats, les victimes et multiplié ces champs d’actions et de financement. Le nombre de morts se fait chaque jour plus grand et les victimes d’enlèvement, de violes et de violences augmentent aussi de manière alarmante. C’est Bring-Back-Our-Girls-590x339après l’enlèvement des 276 Lycéennes en Avril 2014 que l’occident s’est rendu compte de la puissance et de la menace  croissante de ce groupe. Un mouvement mondial c’était alors déclenché avec la phrase tristement connue  « Bring Back Our Girl ».

L’allégeance à l’Etat Islamique, un moyen de se labelliser  

Comme dit précédemment, Boko Haram, a été créé dans un contexte de contestation sociale anti-occidentale et anti-gouvernementale. Néanmoins, il semble important de remarquer que ce groupe bien qu’important au Nigéria et dérangeant pour les pays frontaliers n’avait pas un réel impact. Or, en mars 2015 on a vu leur méthode et leur médiatisation évoluer, on peut notamment citer la création d’un compte twitter et l’augmentation de la qualité des vidéos diffusées dans les médias. Aussi, pourquoi parler de Label Islamique ? Selon Bakary Sambee, Boko Haram ne désire plus seulement toucher la zone seule du Nigéria mais bien l’Afrique entière. L’enjeu ici, serait de rejoindre la Somalie, cet Etat est bien connu de Boko Haram, puisque certains shebab Somalien ont aidé à créer des camps d’entrainements pour les membres du groupe Nigérian. Le Sahel devient donc un enjeu qui ne peut être sous estimé par les Etats Africains et le monde.

Julien Durandeau

America is back ?

«America is back», l’Amérique est de retour. C’est le slogan simple et brutal  sur lequel Ronald Reagan avait bâti sa campagne et sa facile victoire, en 1980, contre Jimmy Carter, sympathique et doux rêveur à qui ses concitoyens ne pardonnaient pas d’avoir fait perdre à leur pays, sinon son statut, au moins son image de rempart du «monde libre» face à l’«empire du mal». Cette situation peut à nouveaux être transposée dans l’opinion publique américaine suite aux tragiques attentats du 13 novembre 2015 à Paris et à l’attaque qualifiée d’attentat par le FBI le 2 décembre 2014 à San Bernardino aux États Unis.

 

 

La fin de la « fatigue » américaine

Depuis ces deux attaques contre les meneurs de la coalition internationale contre Daech, l’opinion publique aux États Unis est devenue plus vindicative et moins prompt à critiquer l’intervention en Irak et en Syrie. L’opinion américaine est-elle en train d’évoluer sur la manière de lutter contre le groupe État islamique en Irak et en Syrie ? La stratégie de la Maison Blanche, «pas de troupes combattantes au sol», était jusque-là en total harmonie avec l’opinion publique, très hostile à un engagement sur le terrain, après 15 ans de conflit en Afghanistan et en Irak.

Les 1 600 hommes des forces spéciales qui sont aujourd’hui en Irak ont une mission de formation des troupes et de protection des installations américaines. Or, la position des faucons gagne du terrain dans l’opinion. Certains républicains, en effet, estiment que la guerre contre les terroristes ne se gagnera pas en se limitant à des raids aériens.

Plus de la moitié des Américains sont d’accord avec cette position d’après un sondage de la Maison Blanche, ce qui la met en porte à faux. Barack Obama estime que si des troupes doivent mener le combat au sol, celles-ci devront appartenir aux pays de la région. Mais cela ne semble plus convaincre les Américains de plus en plus préoccupés par la sécurité de leur pays et de leurs ressortissants.

Les États-Unis entament leur virage

En effet, suite aux attaques de Paris et de San Bernardino, l’armée américaine change radicalement de stratégie sur le terrain et se met à cibler le portefeuille de l’État islamique : ses réserves de pétrole et les flottes de camions le transportant, de plus, Barack Obama a décidé d’engager officiellement pour la première fois des troupes au sol en Syrie : ce ne sont que quelques soldats des forces spéciales américaines, environ une cinquantaine, qui sont déployés au Nord de la Syrie afin d’aider les combattants anti-Daech épars restants en Syrie. Cette opération est minime mais symbolise bien l’infléchissement de la politique de la Maison Blanche suite aux réactions de l’opinion publique qui se préoccupe plus du terrorisme que de l’économie intérieure. Enfin, le 4 décembre, Le chef du Pentagone a annoncé que Washington était prêt à intensifier le déploiement de forces spéciales en Syrie et en Irak.

 brets verts

 Des Bérets verts américains à l’entraînement, le 22 avril 2015 – SIPANY/SIPA

 

Les possibilités du Pentagone

Ces troupes pourraient être renforcées «là où nous trouverons de nouvelles opportunités de [les] développer», a affirmé le secrétaire à la Défense Ashton Carter devant la commission des forces armées de la Chambre des représentants.

En Irak, les États-Unis sont en train de déployer une unité des forces spéciales pour «aider les forces irakiennes et kurdes peshmergas» à mener des raids sur le terrain contre Daesh. «Ces forces spéciales seront à terme capables de conduire des raids, libérer des otages, obtenir du renseignement et capturer des responsables du groupe État islamique», a détaillé Ashton Carter. Cette unité « sera également en position de conduire des opérations unilatérales » en Syrie. Bien sûr, de tels exemples peuvent vouloir dire bien plus qu’il n’y parait au premier abord.

Emanuel Tychonowicz

 

Etats-Unis : Donald Trump tient des propos qui dérangent.

Donald Trump, homme d’affaires mais aussi homme politique américain, actuellement candidats aux élections présidentielles est en pleine campagne électorale. C’est à la suite de la fusillade survenue en Californie à San Bernardino la semaine dernière, que Donald Trump vient de tenir un discours immédiatement controversé : Monsieur Trump souhaite fermer les frontières américaines aux musulmans.

Un souhait de fermer les frontières aux musulmans

Donald Trump, cet Américain républicain, candidat aux élections présidentielles, qui finance lui-même sa campagne, dit ne pas pouvoir être acheté. Le 07 décembre, il annonce vouloir stopper l’immigration musulmane aux Etats-Unis, qu’il s’agisse de simples touristes, d’étudiants ou d’immigrés. Cette situation ne serait que temporaire, le temps que les hommes d’Etat puissent comprendre ce qu’il se passe. Par ailleurs, les soldats américains de confession musulmane, pour l’instant déployés sur la planète, seraient alors mis sous haute surveillance une fois revenus dans leurs pays, pour des raisons de sécurité, par soucis de les voir revenir radicalisés.

donald trump public domain

Donald Trump à la CPAC de Washington en 2011. (C) Tous droits réservés à Gage Skidmore.

‘If I win the election for President, we are going to Make America Great Again.’ Telle est la devise de Monsieur Donald Trump.

Une vive réaction de la part de la Maison Blanche

Rapidement après ce discours, la Maison Blanche condamnait ces propos, jugés ne pas être en adéquation avec les valeurs de leur pays. Ben Rhodes, conseiller du président actuel Barak Obama affirme que c’est « contraire à [leurs] valeurs en tant qu’Américains » et « le respect des religions est inscrit dans [leur] déclaration des Droits ».

Les auteurs de la fusillade de San Bernardino, Syed Farook et Tashfeen Malik, deux islamistes dits auto-radicalisés (selon le FBI) avaient ôté 14 vies le 2 décembre dernier. De plus, l’Etat islamique ayant revendiqué cette tuerie, c’est dans ce contexte que Donald Trump s’est exprimé la semaine dernière.  Cependant, selon une étude récente sur lemonde.fr, Monsieur Trump utiliserait des données et les changerait de contextes, altérant ainsi la vérité et donnant un autre sens aux chiffres déjà présents. Il est à noter cependant, que dans la vidéo où l’on voit ce candidat républicain tenir son discours sur le fait d’interdire les musulmans aux Etats-Unis, la plupart de son auditoire est en accord avec ses propos.

Camille Bonnet

Nigéria, un défi de développement

Le Nigéria est aujourd’hui un des pays d’Afrique dont le développement économique est le plus prometteur, mais qui doit faire face à l’insécurité provoquée par la présence de Boko Haram, ainsi qu’à une instabilité politique structurelle.

La ville de Maiduguri au Nord-est du Nigéria a été frappée le mardi 13 octobre dernier par trois explosions faisant de nombreux morts. Cette attaque a été attribuée au groupe islamiste Boko Haram, qui a intensifié ces assauts dans cette région du pays depuis quelques mois.

Boko Haram ou l’enjeu de la sécurité

C’est actuellement – et depuis 2013 – une véritable guerre dans laquelle le gouvernement nigérian et les djihadistes de Boko Haram se sont engagés. Le Nigéria est historiquement marqué par des conflits ethnico-religieux entre musulmans au Nord et chrétiens au Sud, mais la lutte contre la secte islamiste dépasse désormais le cadre national. Boko Haram est créé en 2002 comme un mouvement politique mais lance rapidement des actions violentes et se heurte fréquemment aux forces de police. Mais c’est en juillet 2009 que le gouvernement prend réellement conscience de la menace, à l’occasion d’attaques simultanées dans quatre Etats du Nord du pays. Pour la première fois, l’armée intervient contre le groupe djihadiste et parvient à éliminer Mohamed Yusuf, fondateur et dirigeant du groupe islamiste. Mais le groupe se réorganise autour d’Abubakar Shekau et poursuit son expansion. Le conflit s’intensifie à partir de 2013 et l’organisation djihadiste, qui fait désormais allégeance à l’Organisation Etat islamique (OEI), tente aujourd’hui des incursions au Cameroun et au Tchad.

Ce conflit impacte toute la société nigériane en créant un environnement d’instabilité et d’insécurité. En effet, aux victimes directes des conflits, aux déplacements de population et aux destructions s’ajoutent également des conséquences sur l’économie et le développement du pays.

Le défi du développement : l’instabilité politique et financière

Ce conflit vient accentuer la déstabilisation du pays, qui présente pourtant depuis quelques années des atouts pour un dynamisme économique. En 2013, le Nigéria devient la première économie d’Afrique devançant ainsi l’Afrique du Sud, avec un PIB s’élevant à 510 milliards de dollars. Le taux de croissance moyen depuis les 10 dernières années s’élève à 7%. De plus, le Nigéria est riche en ressources pétrolières, qui constituent une forte source de revenus : le brut représente plus de 90% des revenus à l’export. Enfin, les 180 millions de nigérians représentent un marché colossal pour les entreprises occidentales et asiatiques.

Mais ces forces du Nigéria s’accompagnent également de défis à relever. La richesse nationale, certes élevée, n’est plus si impressionnante quand elle est rapportée au nombre d’habitants : le niveau de vie des nigérians est en réalité proche de la moyenne africaine. D’autre part, l’économie nigériane est énormément dépendante de l’exportation de l’or noir : les revenus du pétrole représentent trois quart du budget national. Lorsque le cours du baril baisse, c’est toute l’économie du pays qui est à genoux. C’est actuellement le cas : entre septembre 2014 et juillet 2015 le prix du baril a chuté de 60%, ayant des conséquences lourdes pour les finances publiques. En avril dernier, certains Etats n’ont pas pu verser de rémunération à leurs fonctionnaires.

Le Président Buhari, ancien dictateur militaire « converti à la démocratie » et élu en mai 2015 après une campagne axée sur la lutte contre la corruption, affirme vouloir faire la « chasse aux milliards » détournés, notamment pendant la présidence de son prédécesseur, Goodluck Jonathan.

Le Secrétaire général de l'ONU à la rencontre de Muhammadu Buhari, Président du Nigéria, le 25 août 2015 - UN Photo/Evan Schneider

Le Secrétaire général de l’ONU à la rencontre de Muhammadu Buhari, Président du Nigéria, le 25 août 2015 – UN Photo/Evan Schneider

 

En dépit de ces affirmations, le Nigéria rebute toujours autant les investisseurs étrangers, notamment en raison des prises d’otages dont sont victimes les ingénieurs occidentaux ou asiatiques, la rançon constituant une source de revenus pour les groupes dissidents.

Tout comme l’Iran qui suscite aujourd’hui l’intérêt des entreprises occidentales et asiatiques, le Nigéria doit désormais stabiliser sa situation pour rassurer d’éventuels investisseurs, clé du développement du pays. Une des solutions réside aujourd’hui dans la coopération militaire avec des pays frontaliers tels que le Cameroun.

Mathilde Revert

« Le monde occidental est-il en danger ? » Un débat mouvementé aux Géopolitiques de Nantes

LES GEOPOLITIQUES DE NANTES

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Lors de la première édition des Géopolitiques de Nantes au Lieu Unique (4 et 5 octobre 2013), une conférence a retenue mon attention. « Le monde occidental est-il en danger ? » confrontait différents points de vue à travers les personnalités de Pascal Boniface, directeur d’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques), puis de Esther Benbassa (Sénatrice du Val-de-Marne, Europe Écologie-Les Verts), et enfin de Frédéric Pons (rédacteur en chef à l’hebdomadaire Valeurs Actuelles).

Pascal Boniface a ouvert le sujet de la conférence en expliquant que pendant 5 siècles, l’Occident avait le monopole de la puissance mais qu’il était en train de la perdre. En effet, pour lui, cette perte de puissance s’explique par la difficulté qu’a l’Occident de sortir de la guerre froide. Sa vision montre aussi que ce n’est l’Occident qui décline mais ce sont les autres parties du monde qui émergent, en particulier depuis une dizaine d’année. Mais sur les 60 à 70 pays émergents, il y a une trentaine d’États-faillis car ils n’ont plus le monopole de la violence légitime. Pour Pascal Boniface, l’Occident a perdu le monopole mais pas la puissance. Il faut changer les relations que l’Occident entretient par rapport aux autres, le problème de l’ingérence considérée comme une nouvelle forme de colonialisme en est un exemple explicite. Il montre que ça ne fonctionne plus pour deux raisons : Premièrement il n’est plus possible d’exporter la démocratie par les armes et les bombardiers à l’heure d’internet. Puis, il y a un rejet de l’hypocrisie occidentale de la propagation de ses valeurs après son histoire.

La question que Pascal Boniface pose alors aux protagonistes de la conférence est : Comment l’Occident va-t-il s’adapter après la désillusion de l’utilisation militaire ? Sa position montre l’importance d’une prise en compte et de la mise en place d’un « véritable multilatéralisme ».

Intervient alors Esther Benbassa, qui commence en se demandant de quel Occident il est question. L’Occident contient une telle diversité qu’il est difficile d’y poser des frontières : Occident chrétien ? Européen ? Y incluant le Maghreb ? Sa position est de dire « qu’il y a une apocalypse à chaque famine » et donc qu’il ne faut pas se faire peur. Cette peur est liée aux nouvelles économies mais aussi aux émergences naissantes. Pour elle, le problème provient d’une cristallisation autour de l’Islam qui pourrait mettre l’Occident à genoux, considérée comme une force incontrôlable, mais elle considère qu’il s’agit d’un problème extérieur et non intérieur à l’Occident. Le problème viendrait de l’amalgame entre « arabe » et « terrorisme », à la différence des États-Unis qui savent faire la différence. Mais cette peur serait aussi liée au fait que l’Occident est de moins en moins religieux car il y a une peur de la suprématie de la religion. L’Occident reporterait alors le combat qu’elle a mené contre le christianisme sur l’Islam, qui est pourtant une religion minoritaire sur cette partie du monde. Esther Benbassa considère que l’Occident devrait plutôt s’inquiéter de son manque de flexibilité face à la globalisation, il devrait ainsi craindre son manque d’énergie, de création et d’inventivité. Pour elle, les dangers sont donc internes. Elle conclut alors son intervention en disant que s’il y a une montée de la « droite dure », de la « force conservatrice », c’est qu’il s’agit d’un symptôme de la peur de l’avenir.

Frédéric Pons prend alors la parole en attaquant le manque de structure de l’intervention de Esther Benbassa et de son problème de faire prévaloir « sa vision idéologique et réductrice » sur la réalité. Il commence en donnant sa définition de l’Occident : il s’agit d’une civilisation née dans le nord, d’aspiration gréco-romaine et judéo-chrétienne. Sa vision de l’Occident correspond à un confort de liberté et de générosité. Le danger du monde occidentale tient d’une cause exogène. En effet, il considère que le facteur majeur du danger correspond à l’affaiblissement de l’élan vital à travers la diminution de la démographie, la fatigue intellectuelle amenant un affaissement des valeurs occidentales. Selon ses dires : « Dans une société de vieux, on perd toute audace créatrice », et c’est de là que provient le conservatisme politique, économique, social et syndicale. Pour lui, il y a un renoncement aux défis posés par la modernité, comme le refus d’investir, de travailler sur des gaz dangereux comme le gaz de schiste, comme le refus de maintenir la famille et d’encourager la natalité. La « culture de l’assistanat » amène, selon lui, une « croissance-zéro », un conservatisme des syndicats, et des entrepreneurs verrouillés par l’administration. L’Occident serait touché par une fatigue ambiante et morale. Il donne, alors, l’exemple que c’est une illusion de croire que le monde est à la recherche de la paix, de la manière dont l’Occident la perçoit. Pour lui, la migration incontrôlée est une menace pour l’Occident car cela a pour conséquence, la « montée des extrêmes sans cadre politique ni humaniste ». L’Occident manque de réflexion car il a renoncé à intégrer les personnes de confession musulmane, il s’agit d’une erreur stratégique et civilisationnelle. Pour lui, le peuple a accumulé une haine depuis des décennies, « c’est le peuple qui doute et c’est le peuple qui vote ». Il dégage aussi le problème de l’immigration choisie où l’Occident prend les ingénieurs en Asie et en Afrique, et il pense ça lui reviendra « comme un boomerang ». Il conclut son intervention, en disant le contraire de Esther Benbassa, car pour lui, il y a un risque sécuritaire interne et qu’il faut « un retour civilisationnel sans se voiler la face ».

Le moment était venu de laisser le public poser ses questions, mais Madame Esther Benbassa a voulu se défendre contre son interlocuteur. Après quelques questions posées par le public, elle reprit directement la parole pour énoncer qu’elle ne voulait pas écouter Monsieur Frédéric Pons car selon elle, il tiendrait des « propos homophobes, islamophobes… », l’attaquant aussi sur certaines couvertures de l’hebdomadaire Valeurs actuelles. Frédéric Pons décide alors de répondre aux questions du public, tout en se défendant. Les attaques entre les deux protagonistes, sous l’énervement, étaient de plus en plus personnelles : par exemple, Frédéric Pons a demandé à Esther Benbassa de comparer la retraite d’un ancien combattant à sa retraite de sénatrice. Une personne du public se déclarant anthropologue, travaillant dans une banlieue dite à risques, a relevé la différence entre les dires de Esther Benbassa et la réalité du terrain en ce qui concerne l’Islam, énonçant que de plus en plus d’enfants de moins de 12 ans étaient dans l’obligation de faire le ramadan. Cette réflexion sur la réalité du terrain a un peu plus agité le débat entre les conférenciers. Ce débat mouvementé a alors scindé le public, applaudissant l’interlocuteur correspondant aux idées de chacun. Pascal Boniface a alors repris la parole pour conclure ainsi que calmer les tensions. Il a alors montré l’importance du débat des différentes opinions ainsi que le respect de ces divergences qui sont des objectifs prépondérants à l’IRIS.

Le retour sur cette conférence a été plutôt positif, le dynamisme du débat a permis de comprendre les différents enjeux auxquels l’Occident est confronté. Pascal Boniface, n’étant pas le médiateur de cette conférence, a malgré tout joué ce rôle pour apaiser les tensions du débat, mais il a mis en évidence l’importance de ce questionnement qui agite notre société actuelle. Force est de constater deux conclusions à cette conférence : les inquiétudes de la société occidentale, voyant un public aussi concerné et, l’importance du respect de l’écoute des divergences d’opinion.

Amélie RIPOCHE

L’Égypte fait entendre sa voix : une fermeture ambiguë du canal de Suez

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Une question se pose actuellement sur la fermeture du canal de Suez par l’Égypte. Cette question rappelle la crise du canal de Suez de 1956 par Nasser qui avait transféré le patrimoine du canal à la Suez Canal Authority. Nasser voulait ainsi « nationaliser » le canal. Aujourd’hui, la question de la fermeture du canal émane d’une double conséquence : la guerre en Syrie et la situation instable de l’Égypte.

En effet, suite à la passation du contrôle du canal à l’armée égyptienne par le gouvernement, en janvier, le Général Abdel Fattah al-Sissi, a annoncé la fermeture du canal de Suez aux navires de guerre cherchant à attaquer la Syrie, le 28 août 2013. Étant considéré comme le nouvel homme fort de l’Égypte, il rappelle l’accord de défense commun avec la Syrie.Ce commandant en chef des armées ajoute que l’Égypte ne répétera « pas les erreurs commises lors de la guerre en Irak », par conséquent, l’Égypte ne sera « pas un passage pour attaquer un pays arabe ».

Le lendemain, le ministre égyptien des affaires étrangères, Nabil Fahmy confirme cette position, en s’opposant aux interventions possibles contre la Syrie. Déchu le 3 juillet, le président Morsi avait rompu les relations diplomatiques avec la Syrie, Nabil Fahmy avait alors promis de les réexaminer.

Le même jour (29 août), Hassan Chachine, porte parole du mouvement Tamarrod, (à la base de la chute du régime des frères musulmans et du président Morsi), a réclamé la fermeture de ce même canal. Le mouvement Tamarrod appelle l’Égypte à prendre une position ferme contre une intervention américaine en Syrie. C’est intéressant de voir que le lendemain de l’annonce de fermeture du canal de Suez par le Général Abdel Fattah al-Sissi, le mouvement Tamarrod en réclame aussi sa fermeture.

La question se pose donc de savoir si le canal de Suez est réellement fermé actuellement? D’autant plus que le 31 août dernier, l’Égypte a affirmé avoir déjoué une attaque « terroriste ». Selon l’amiral Mamich, l’attaque a totalement échoué. « L’armée a donné l’ordre de renforcer les mesures de sécurité autour de cet axe stratégique et a agi « avec fermeté face à cette tentative visant à interrompre le trafic sur le canal »

La fermeture de ce canal pourrait engendrer de nombreuses difficultés. Depuis la Convention de Constantinople de 1888, il s’agit d’un canal international. En effet, il est nécessaire de rappeler qu’il s’agit de la troisième source en devises pour l’Égypte et qu’avec le droit de passage, en 2012, il a rapporté 5,13 milliards de dollars. De plus, ce canal garantit pour 8 % du commerce international, la liberté du transit des navires et l’égalité de traitement. Enfin, il est certain que l’augmentation du baril de pétrole se fera rapidement ressentir.

Par conséquent, malgré l’instabilité interne de l’Égypte, l’on peut constater sa volonté de conserver sa voix en tant que pays arabe comme acteur déterminant dans cette région du globe. En menaçant de fermer le canal de Suez, l’Égypte affirme ainsi sa souveraineté et rappelle « la nationalisation » du canal mise en place par Nasser en 1956. Enfin, il est certain que la fermeture du canal provoquerait de nombreux problèmes géopolitiques et économiques. La question reste en suspens car aucune véritable réponse n’a été exprimée jusque-là, le canal n’est donc peut être pas réellement fermé. Il s’agit là d’une question importante à ne pas prendre à la légère.

Amélie RIPOCHE