Égypte: la chasse aux Frères musulmans

Manifestations pro-Morsi - Tous droits réservés

Manifestations pro-Morsi – Tous droits réservés

Après la chute de Mohamed Morsi le 3 juillet et les affrontements du mois août, l’Egypte a peu à peu disparu de nos écrans. Le premier Président égyptien élu démocratiquement et aujourd’hui déchu est toujours enfermé, en attente de jugement. Six mois après la destitution du chef d’Etat dans quelle situation se trouve l’Egypte ?  

Mohamed Morsi dont le procès avait été repoussé le 4 novembre dernier sera finalement jugé le 28 janvier. L’ancien leader du parti de la liberté et de la justice  et chef du gouvernement est inculpé dans trois différents procès. Le premier portera sur son évasion d’une prison en 2011 lors du printemps arabe et sur sa participation à des attaques contre d’autres centres de détention auxquelles il aurait pris part avec l’aide de membres du Hamas et du Hezbollah. Il sera également entendu pour « complicité de meurtres » de manifestants alors qu’il était au pouvoir. Enfin, il sera jugé aux côtés de 35 autres membres des Frères musulmans pour « espionnage » au profit d’organisations étrangères en vue de mener des actes terroristes dans le pays. Mohamed Badie, guide suprême de la confrérie sera également jugé dans ce procès, ils encourent la peine capitale.

Par ces procès l’Égypte tente de porter un sérieux coup aux groupes islamistes et aux Frères Musulmans. La confrérie aurait perdu un millier de morts dans les divers affrontements depuis le coup d’Etat du général al-Sissi et au moins un millier de ses membres seraient emprisonnés. Depuis le coup porté par la police et l’armée le 14 août, les islamistes constituent les principales cibles des répressions et sont victimes d’une traque sans fin. Cette « chasse aux sorcières » s’applique également dans les mesures prises par le gouvernement. Ce jeudi 2 janvier, le ministre de l’Intérieur égyptien, Mohamed Ibrahim a accusé les Frères musulmans et le Hamas d’être responsables des récentes attaques terroristes ayant touché le pays. Amer Mosad Abdel-Hamid, membre des Frères musulmans arrêté dans la ville de Mansoura dans la province de Daqahliya (le 24 décembre) en possession d’armes aurait reconnu (selon les autorités) avoir participé à plusieurs attaques et avoir été entraîné à Gaza.

Au lendemain de l’attaque, le 25 décembre, le gouvernement a déclaré la confrérie des Frères musulmans comme étant une « organisation terroriste » et a multiplié les arrestations. Ceci implique qu’une peine de prison puisse être prononcée à l’encontre de toute personne ayant un lien même minime avec la confrérie (déjà interdite depuis l’automne). Cette nouvelle mesure implique la fermeture des institutions, associations caritatives, cliniques, écoles religieuses, mosquées mais aussi du parti politique « de la liberté et de la justice » et de son journal Liberté et justice. L’Egypte a également appelé les Etats arabes à appliquer le traité anti-terroriste de 1998 afin de priver les Frères musulmans de tout soutien extérieur et d’obtenir l’extradition des membres recherchés.

Les tribunaux multiplient également les condamnations à l’encontre des activistes remontant parfois jusqu’aux manifestations de 2011 contre le régime de Moubarak comme celles du 6 avril. De plus, chaque soutien potentiel au régime de Mohamed Morsi est la cible d’atteintes par les forces de sécurité et la justice. C’est le cas de trois journalistes d’Al-Jazeera qui ont été envoyés en prison durant 15 jours (renouvelables) car ayant causé « des atteintes à la sécurité nationale » par leurs images. Cela s’explique aussi par le fait que ces trois personnes travaillaient pour la chaîne du Qatar, soutenant le président déchu. Le parquet égyptien interroge également des responsables de la société anglaise Vodaphone sur des publicités concernant une marionnette (baptisée « Abla Fatiha ») faisant passer des messages aux pro-Morsi et aboutissant à des attentats.

Cependant, malgré toutes les entraves du gouvernement, les Frères et leurs soutiens refusent de capituler et on constate chaque jour de nouvelles manifestations ou de nouveaux heurts. Le weekend dernier de nouveaux affrontements ont eu lieu sur des campus universitaires causant la mort d’un étudiant, tué par la police, après une action pro-Morsi. Mercredi, les affrontements entre les forces de l’ordre et les manifestants pro-Morsi ont fait deux nouvelles victimes à Alexandrie. D’autres affrontements ont eu lieu entre pro et anti-Morsi comme à Zagazig, ville natale de l’ancien Président. Le but de ces opérations est de faire pression sur le gouvernement à la veille du référendum sur la nouvelle constitution prévu pour le 14 janvier dans laquelle l’armée reste intouchable.

Ronan Hélou

L’Égypte fait entendre sa voix : une fermeture ambiguë du canal de Suez

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Une question se pose actuellement sur la fermeture du canal de Suez par l’Égypte. Cette question rappelle la crise du canal de Suez de 1956 par Nasser qui avait transféré le patrimoine du canal à la Suez Canal Authority. Nasser voulait ainsi « nationaliser » le canal. Aujourd’hui, la question de la fermeture du canal émane d’une double conséquence : la guerre en Syrie et la situation instable de l’Égypte.

En effet, suite à la passation du contrôle du canal à l’armée égyptienne par le gouvernement, en janvier, le Général Abdel Fattah al-Sissi, a annoncé la fermeture du canal de Suez aux navires de guerre cherchant à attaquer la Syrie, le 28 août 2013. Étant considéré comme le nouvel homme fort de l’Égypte, il rappelle l’accord de défense commun avec la Syrie.Ce commandant en chef des armées ajoute que l’Égypte ne répétera « pas les erreurs commises lors de la guerre en Irak », par conséquent, l’Égypte ne sera « pas un passage pour attaquer un pays arabe ».

Le lendemain, le ministre égyptien des affaires étrangères, Nabil Fahmy confirme cette position, en s’opposant aux interventions possibles contre la Syrie. Déchu le 3 juillet, le président Morsi avait rompu les relations diplomatiques avec la Syrie, Nabil Fahmy avait alors promis de les réexaminer.

Le même jour (29 août), Hassan Chachine, porte parole du mouvement Tamarrod, (à la base de la chute du régime des frères musulmans et du président Morsi), a réclamé la fermeture de ce même canal. Le mouvement Tamarrod appelle l’Égypte à prendre une position ferme contre une intervention américaine en Syrie. C’est intéressant de voir que le lendemain de l’annonce de fermeture du canal de Suez par le Général Abdel Fattah al-Sissi, le mouvement Tamarrod en réclame aussi sa fermeture.

La question se pose donc de savoir si le canal de Suez est réellement fermé actuellement? D’autant plus que le 31 août dernier, l’Égypte a affirmé avoir déjoué une attaque « terroriste ». Selon l’amiral Mamich, l’attaque a totalement échoué. « L’armée a donné l’ordre de renforcer les mesures de sécurité autour de cet axe stratégique et a agi « avec fermeté face à cette tentative visant à interrompre le trafic sur le canal »

La fermeture de ce canal pourrait engendrer de nombreuses difficultés. Depuis la Convention de Constantinople de 1888, il s’agit d’un canal international. En effet, il est nécessaire de rappeler qu’il s’agit de la troisième source en devises pour l’Égypte et qu’avec le droit de passage, en 2012, il a rapporté 5,13 milliards de dollars. De plus, ce canal garantit pour 8 % du commerce international, la liberté du transit des navires et l’égalité de traitement. Enfin, il est certain que l’augmentation du baril de pétrole se fera rapidement ressentir.

Par conséquent, malgré l’instabilité interne de l’Égypte, l’on peut constater sa volonté de conserver sa voix en tant que pays arabe comme acteur déterminant dans cette région du globe. En menaçant de fermer le canal de Suez, l’Égypte affirme ainsi sa souveraineté et rappelle « la nationalisation » du canal mise en place par Nasser en 1956. Enfin, il est certain que la fermeture du canal provoquerait de nombreux problèmes géopolitiques et économiques. La question reste en suspens car aucune véritable réponse n’a été exprimée jusque-là, le canal n’est donc peut être pas réellement fermé. Il s’agit là d’une question importante à ne pas prendre à la légère.

Amélie RIPOCHE

Syrie : Quels futurs ?

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Prospections sur les scénarios les plus plausibles d’un après-Assad.

Selon Joseph Bahout, enseignant à Science-Po, il existe trois scénarios possibles ; le premier d’entre eux est l’hypothèse du « réduit alaouite »[1]. Dans celle-ci, les alaouites garderaient le contrôle sur les villes de l’ouest et sur les montagnes, se refermant sur un éthos ethnico-religieux. Ainsi, les insurgés administreraient le reste du pays, ce qui conduit à terme à la partition évidente du pays. Ce scénario rappelle le contexte du Liban durant la guerre civile. Néanmoins, il faudrait l’aval des Nations-Unies, ce qui risque de poser un réel problème, notamment vis-à-vis des velléités d’indépendance kurdes. Une telle issue déboucherait inévitablement sur un démembrement de toute la région, déjà hautement instable.

                Le deuxième scénario est, selon Joseph Bahout, le plus plausible. Prévoyant la chute du pouvoir syrien sous la pression des insurgés et la prise de Damas. Dans ce cas, le climat de vengeance est à craindre, tout autant que des jugements extrajudiciaires et des exécutions sommaires des forces loyalistes par les rebelles. Bahout voit cette hypothèse comme une « ambiance d’anarchie et de chaos […] où la Syrie deviendrait l’Afghanistan du Moyen-Orient, un Etat failli déstabilisant tous ses voisins »[2].

                Un troisième scénario semble possible pour Joseph Bahout et c’est le seul qui serait positif, passant par la mise en place d’un « modèle de transition alléchant pour les Syriens, en particulier les alaouites, afin qu’ils se détachent du régime. Et cela passe par un vrai soutien à l’opposition, qui a désormais la tâche d’administrer les zones libérées, comme la province de Rakka »[3]. Néanmoins, l’après Al-Assad ne semble pas être d’actualité, car il se cramponne au pouvoir.

                Une autre hypothèse semble être plausible, étant donné que l’opposition est largement contrôlée par les frères musulmans. L’imposition de la charia et l’ombre d’un autre Etat tombant sous la houlette des islamistes ne sont pas impossible, notamment lorsque l’on voit ce qu’a donné le vote par les urnes en Tunisie et en Egypte. L’inquiétude, vient également du flou existant dans les relations entre les franges radicales de l’opposition syrienne et la mouvance des frères musulmans. Les groupes islamistes comme Ahrar Al-Cham ou Jabhat Al-Nosra opérant en Syrie, sont la preuve de la présence du militantisme islamique mais aussi et probablement, des ramifications terroristes. Ce qui projette un sentiment de crainte chez les non-sunnites, mais aussi chez les Etats occidentaux qui craignent la création d’une base arrière terroriste. Les précédents ne sont pas rares, en témoigne les actions menées contre les FATA pakistanaise ou l’Azawad, pour éviter la sanctuarisation d’un espace à vocation terroriste.

                Quoi qu’il en soit il semble difficile de s’avancer sur un scénario plutôt qu’un autre. La Syrie semble piégée dans un jeu international qui dépasse largement les acteurs locaux.

 

J.RETIF


[1] C.AYAD, « les scénarios du pire pour l’après-Assad ».Bilan géostratégique, hors série le Monde, p34

[2] ibid

[3] ibid

Le Qatar, une géostratégie à double jeu

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De part sa position géographique, le Qatar, souvent considéré comme le petit frère de l’Arabie Saoudite, a compris qu’il fallait avant tout aborder sa situation avec diplomatie pour entrer dans la cour des grands.

Coincé entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, d’une étendue équivalente à l’Ile de France, le Qatar est le deuxième pays le plus riche si l’on se base sur le PIB par habitant avec $ 100 377/hab. A peine deux millions d’habitants, et pourtant, ce petit pays du Golfe persique ne cesse de faire parler de lui par ses investissements dans les pays de Voltaire et Shakespeare. En cinq ans, le troisième plus grand producteur de gaz naturel, s’est montré partout, en imposant sa richesse aux grandes puissances.

Allié des Etats-Unis depuis 1972, le Qatar accueille deux bases américaines, soutient les opérations militaires américaines et de l’Otan et se positionne du côté occidental quand il s’agit de lutter contre le nucléaire de l’Iran. Cependant, l’émir qatari, Hamad ben Khalifa Al-Thani joue double jeu en soutenant les Frères musulmans, « incubateur » des groupuscules islamistes, grands ennemis de la politique de défense américaine, selon Al-Ahram Weekly, journaliste du Caire. Aussi, pour la question du Mali, le Qatar s’est montré frileux quant à l’intervention française, préférant un débat entre les pays voisins.

Il est évident, aujourd’hui, le Qatar veut s’assurer pérennité et sécurité en servant ses intérêts: « Investir dans tous les secteurs et dans toutes les régions » selon David Roberts du Royal United Services Institute. On peut dire que c’est la stratégie adoptée par la Qatar Investment Authority, mise en place en 2005 pour soutenir la politique étrangère de Doha. Cela semble bien fonctionner en France et au Royaume-Uni avec les rachats sportifs, immobiliers, de luxe, d’art, et le dernier en date, des magasins Printemps. Ces investissements interviennent au « bon moment » pour ces deux pays affectés par la crise. Le souhait des français de faire tomber Bachar-el-Assad n’est pas anodin puisqu’il va dans le sens du Qatar. Effectivement, afin de pouvoir transférer son gaz jusqu’en Europe, le Qatar doit obtenir l’accord ultime de la Syrie actuellement en arrangement sur un autre projet avec ses propres alliés. Le chute de Bachar-el-Assad serait un plus pour ce projet et donc pour les intérêts économiques du Qatar. Par ailleurs, en ayant une alliance financière, la France et le Royaume-Uni s’assurent d’un médiateur au Moyen-Orient.

Cette stratégie du pouvoir par l’argent n’est pas sans faire percevoir quelques limites et notamment quant à ses voisins islamiques. La chaîne qatarie Al-Jazira perd énormément d’influence dans le monde arabe car jugée trop subjective, voire propagandiste du Qatar. Ainsi, de plus en plus de médias du monde arabe critiquent la stratégie du Qatar et ses alliances occidentales. En outre, l’Egypte, affaibli aujourd’hui, mais également l’Arabie Saoudite, deux puissances religieuses du Moyen-Orient, n’hésiteront pas à temps, à se positionner « contre » un Qatar qui n’a aucune légitimité islamique dans la région.

Gaëlle RUBEILLON