Vers un « croissant terroriste »?

La nouvelle est presque passée inaperçue en France. Le 7 mars 2015, le groupe djihadiste « Jama’atu Ahlis Sunna Lidda’Awati Wal-Jihad », alias Boko Haram, annonçait son allégeance à l’État Islamique. Cinq jours plus tard, dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, Daech acceptait cette allégeance et demandait aux volontaires pour le djihad « de se rendre en Afrique de l’Ouest afin de rejoindre [leurs] frères combattants sur place ». Si cette allégeance n’est pas une surprise aux yeux de nombreux spécialistes comme Wassim Nasr, qu’entraine-t-elle dans l’immédiat ?

Un renforcement des deux structures évoquées ?
L’allégeance de Boko Haram à l’État Islamique va-t-elle renforcer mutuellement les deux structures terroristes ? La secte nigériane a certes montré psychologiquement, par son allégeance, qu’elle prétendait au même combat et aux mêmes ennemis que le califat auto-proclamé en Syrie et en Irak. Mais, pour le moment, rien ne montre que ceci se traduira par un soutien matériel, humain, voire financier de la part de l’organisation terroriste présentée comme la plus puissance actuellement. La sensation que Boko Haram se soit renforcé est ainsi quasi inexistante. A l’inverse, si l’État Islamique ne tire aucun avantage matériel de la situation, sur le plan idéologique, il en sort renforcé. En acceptant l’allégeance d’un des groupes djihadistes les plus actifs et les plus meurtriers, le califat envoi le signal qu’il est le seul acteur crédible dans la lutte islamique contre l’Occident, et son mythe d’un grand empire multinational uni par la seule foi de l’Islam semble prendre forme.

Un arc djihadiste face à l’Occident ?
Selon l’IntelCenter[1], L’État Islamique aurait aujourd’hui plus d’une trentaine de groupes terroristes le soutenant ou lui ayant fait allégeance, certains (pour ne pas dire une majorité) n’ayant pas de réelles capacités d’action. Pour Wassim Nasr, journaliste à France 24 et spécialiste des mouvements djihadistes, Boko Haram est surtout la seconde structure à passer intégralement sous le contrôle de Daech, après Ansar Beït Al Maqdis en 2014. Le califat se trouve donc présent au Nigeria, dans le Sinaï, mais aussi en Libye, dans la péninsule arabique. Il possède aussi des soutiens en Algérie, en Tunisie et au Soudan. On pourrait donc croire en une formation d’un fil quasi continu de l’État Islamique à l’Atlantique, en longeant la côté maghrébine de la méditerranée (Cf. carte ci-dessous). Mais penser un tel fil serait penser tous ces groupes terroristes comme une seule et même entité.

carte issu du figaro.fr  c(DR)

carte issue du figaro.fr
c(DR)

Une unification complète des groupes terrorismes ?
Pour Wassim Nasr, une telle pensée est justement le message que souhaite faire passer Daech à la coalition : « C’est moi (Daech) qui définis le théâtre de la guerre et il va s’étendre au-delà de la Syrie et de l’Irak, à l’Algérie, à la Libye, à l’Égypte et maintenant à l’Afrique Noire ». Et même si les différentes menaces djihadistes, respectivement présentes dans ces différents pays, possèdent des points communs, deux faits importants ne doivent pas être omis. Premièrement, les différences entre les groupes terroristes restent plus importantes que ce qui les rapproche. Deuxièmement, malgré toutes les allégeances et tous les soutiens à l’État Islamique, la grande majorité de ces structures conservent leurs propres chefs et leurs libertés d’actions. Dans le cas où on serait face à une unification complète des différents groupes terroristes, il n’y aurait plus qu’un seul leader. Dans le cas présent, l’auto-proclamé calife Abou Bark Al-Baghdadi. Ce qui n’est clairement pas le cas. Il ne faut donc pas penser les groupes terroristes proches de Daech comme une seule et même entité, mais bien comme des groupes distincts.

L’allégeance récente de Boko Haram à l’État Islamique n’est en soi pas la meilleure nouvelle pour l’Occident. Mais elle n’est pas non plus le signe d’un véritable changement dans la lutte contre le terrorisme, ni de la formation d’un véritable axe terroriste. Du moins tant que les différents groupes évoqué n’arrivent pas à unir leurs forces respectives et que la coalition anti-terroriste continue « de cloisonner et de les (les groupes terroristes) réduire séparément » selon les souhaits du général Trinquand.
François VOUTIER

[1] Entreprise américaine qui a notamment pour but d’étudier les groupes terroristes

Syrie : Quels futurs ?

Image

Prospections sur les scénarios les plus plausibles d’un après-Assad.

Selon Joseph Bahout, enseignant à Science-Po, il existe trois scénarios possibles ; le premier d’entre eux est l’hypothèse du « réduit alaouite »[1]. Dans celle-ci, les alaouites garderaient le contrôle sur les villes de l’ouest et sur les montagnes, se refermant sur un éthos ethnico-religieux. Ainsi, les insurgés administreraient le reste du pays, ce qui conduit à terme à la partition évidente du pays. Ce scénario rappelle le contexte du Liban durant la guerre civile. Néanmoins, il faudrait l’aval des Nations-Unies, ce qui risque de poser un réel problème, notamment vis-à-vis des velléités d’indépendance kurdes. Une telle issue déboucherait inévitablement sur un démembrement de toute la région, déjà hautement instable.

                Le deuxième scénario est, selon Joseph Bahout, le plus plausible. Prévoyant la chute du pouvoir syrien sous la pression des insurgés et la prise de Damas. Dans ce cas, le climat de vengeance est à craindre, tout autant que des jugements extrajudiciaires et des exécutions sommaires des forces loyalistes par les rebelles. Bahout voit cette hypothèse comme une « ambiance d’anarchie et de chaos […] où la Syrie deviendrait l’Afghanistan du Moyen-Orient, un Etat failli déstabilisant tous ses voisins »[2].

                Un troisième scénario semble possible pour Joseph Bahout et c’est le seul qui serait positif, passant par la mise en place d’un « modèle de transition alléchant pour les Syriens, en particulier les alaouites, afin qu’ils se détachent du régime. Et cela passe par un vrai soutien à l’opposition, qui a désormais la tâche d’administrer les zones libérées, comme la province de Rakka »[3]. Néanmoins, l’après Al-Assad ne semble pas être d’actualité, car il se cramponne au pouvoir.

                Une autre hypothèse semble être plausible, étant donné que l’opposition est largement contrôlée par les frères musulmans. L’imposition de la charia et l’ombre d’un autre Etat tombant sous la houlette des islamistes ne sont pas impossible, notamment lorsque l’on voit ce qu’a donné le vote par les urnes en Tunisie et en Egypte. L’inquiétude, vient également du flou existant dans les relations entre les franges radicales de l’opposition syrienne et la mouvance des frères musulmans. Les groupes islamistes comme Ahrar Al-Cham ou Jabhat Al-Nosra opérant en Syrie, sont la preuve de la présence du militantisme islamique mais aussi et probablement, des ramifications terroristes. Ce qui projette un sentiment de crainte chez les non-sunnites, mais aussi chez les Etats occidentaux qui craignent la création d’une base arrière terroriste. Les précédents ne sont pas rares, en témoigne les actions menées contre les FATA pakistanaise ou l’Azawad, pour éviter la sanctuarisation d’un espace à vocation terroriste.

                Quoi qu’il en soit il semble difficile de s’avancer sur un scénario plutôt qu’un autre. La Syrie semble piégée dans un jeu international qui dépasse largement les acteurs locaux.

 

J.RETIF


[1] C.AYAD, « les scénarios du pire pour l’après-Assad ».Bilan géostratégique, hors série le Monde, p34

[2] ibid

[3] ibid