L’Arabie Saoudite dans la guerre syrienne : une stratégie dangereuse

L’Arabie Saoudite dans la guerre syrienne : une stratégie dangereuse

 

Une crainte iranienne, fruit d’une géopolitique risquée.

 La géopolitique saoudienne a pour caractéristique d’être surdéterminée par la menace iranienne et par extension par le péril chiite. Il s’agit pour l’Arabie Saoudite de déstabiliser par tous les moyens possibles ce que le roi jordanien Abdallah a appelé en 2004, « l’Arc chiite ».                                                                                                                                   Aussi, le gouvernement saoudien tente d’influer dans les régions de cet « arc chiite » afin d’orienter les politiques de ces dernières pour quelles lui soient favorables.                         Il soutient et finance par exemple la famille Hariri, de confession sunnite, et le courant du 14 mars au Liban afin de déstabiliser le Hezbollah et la RIL (Résistance islamique au Liban) qu’elle considère comme un satellite de Téhéran. Le but est donc d’endiguer par tous les moyens possibles l’influence chiite iranienne.

C’est à travers ce prisme que nous pouvons comprendre le rôle saoudien dans le conflit syrien.

 

Les raisons d’une intervention saoudienne.                                          

Bachar Al Assad, appartient à la minorité des alaouites, d’obédience chiite et entretient des rapports de coopération avec l’Iran et le Hezbollah auxquels il permet l’acheminement d’armes à destination du Liban. De même, le régime de Bachar Al Assad se fonde sur le baasisme, doctrine mêlant socialisme et nationalisme panarabe et faisant de la laïcité l’un des piliers de cette doctrine. Enfin troisième point qui peut être mentionné, la question énergétique. Des projets de pipelines à destination de l’Europe étaient en effet en cours de négociation avant le conflit opposant au projet qatari, lequel passait par l’Arabie Saoudite pour arriver en Syrie, le projet Iranien qui devait partir de ce dernier pour traverser l’Irak et s’arrêter en Syrie. Celui-ci n’aurait pu que renforcer les liens d’un arc chiite.

 

Le soutien aux milices rebelles.

 L’Arabie Saoudite au regard de toutes ces raisons décide de soutenir dès janvier 2012 les rebelles syriens en accord avec les Etats-Unis dans l’opération « Timber Sycamore »[1] ( Bois de platane). Cette entente vise à soutenir les milices rebelles par le biais de matériels militaires américains financés par l’Arabie Saoudite.

En 2013, lorsque le Qatar se retire du groupe de soutien aux rebelles, l’Arabie Saoudite décide de noyauter la coalition et de placer à sa tête l’un des ses proches, Ahmad Jarba. Elle accélère la formation de 50 000 mercenaires en Jordanie avec l’aide d’instructeurs américains et pakistanais.

Fin de l’été 2013, lorsque survint l’attaque chimique à Damas, l’Arabie Saoudite espère voir les forces américaines bombarder le régime syrien. Cependant, le Président Obama craignant l’escalade recule, et les mercenaires qui étaient près à se rendre sur Damas, faute d’appui aérien sont dispersés dans les différents groupes rebelles dont Jabhat Al Nosra et Ahrar al Cham. Entre l’automne 2013 et l’automne 2014, l’Arabie Saoudite intensifie son soutien aux milices rebelles dont Jabhat al Nosra, Ahrar al Cham, qui enfonce l’armée syrienne sur toute la partie nord du territoire. Cette avancée est caractérisée par l’utilisation de missiles français Milan et américain TOW, payés par l’Arabie Saoudite. Au premier semestre 2015, une nouvelle coalition est créée Jaish al Fatah « l’Armée de la conquête » soutenue financièrement par l’Arabie Saoudite.

 

Daesh, une menace trop longtemps négligée.

 Concernant Daesh, l’Arabie Saoudite soutient financièrement l’Etat Islamique dans la région orientale syrienne entre 2011 et 2013. Toutefois, on observe un revirement de jurisprudence à l’été 2014 lorsqu’Abu Bakr Al Baghdadi proclame le Califat à Mossoul et menace par la même occasion les prétentions saoudiennes. L’Arabie Saoudite accélère alors la construction du mur de 900 km sur la frontière irakienne, et le grand mufti du royaume prononce une fatwa contre Daesh dénonçant ce dernier comme non-islamique. Enfin, l’Arabie Saoudite accélère sa course à l’armement commencée depuis 2010. Elle passe un contrat d’armement en octobre 2010  avec les Etats Unis de 60 milliards de dollars sur vingt ans[2], faisant l’acquisition de 84 chasseurs bombardiers F15/SA, 70 hélicoptères Apache, 72 hélicoptères de transport Black Hawk, 36 hélicoptères Little Bird AH-6, des radars, des missiles air-sol Hellfire et bien d’autres[3].

Entre 2010 et 2014, elle voit ses dépenses augmentées de 115%, devenant le premier importateur mondial d’équipements militaires.

 

On constate donc qu’au nom d’une politique de déstabilisation chiite, l’Arabie Saoudite a joué un jeu dangereux sur le théâtre irako-syrien, se voyant désormais obligée de s’armer contre ceux qu’elle armait hier.

Le théatre militaire n’est pas le seul terrain d’opération de l’Arabie Saoudite. En effet, elle mène aux puissances occidentales et au régime iranien une véritable guerre du pétrole, prenant ici encore beaucoup de risques pour la stabilité de la région et sa sureté personnelle.

 

 

 

 

[1] http://www.nytimes.com/2016/06/27/world/middleeast/cia-arms-for-syrian-rebels-supplied-black-market-officials-say.html

[2] http://rue89.nouvelobs.com/2010/09/14/60-milliards-de-dollars-darmes-americaines-pour-lallie-saoudien-166537

[3]http://rue89.nouvelobs.com/2010/09/14/60-milliards-de-dollars-darmes-americaines-pour-lallie-saoudien-166537

Le « wilayat al-faqih » et la « takli char’i » fondement de la discipline interne du Hezbollah

Le wilayat al-faqih et la takli char’i  fondement de la discipline interne du Hezbollah

 

Le Hezbollah, organisation née en 1984, considérée comme le « le bras sociopolitique[1] » de la RIL (Résistance islamique au Liban), est une organisation qui se caractérise par une discipline interne avérée et reconnue par l’ensemble des observateurs. Cette discipline tire ses fondements dans la culture chiite du « Parti de Dieu », qui s’illustre par le principe du wilayat al faqih.

Le wilayat a-faqih, un principe réinvesti par Khomeiny

Ce principe renvoie littéralement au « gouvernement du jurisconsulte », repris et réinvesti par l’ayatollah Khomeiny faisant de lui « le jurisconsulte(…) qui assume toutes les prérogatives du Prophète[2] ». Ce concept reste débattu tant il empiète sur la fonction des imams et tant il donne à Khomeiny un pouvoir quasi-personnel sur l’ensemble de la communauté chiite. Ce principe sera intégré à la Constitution iranienne en 1979, faisant du Guide de la Révolution l’autorité suprême de la structure étatique iranienne.

 

Le wilayat principe fondateur du Hezbollah

Depuis sa naissance, le Hezbollah a toujours fait du wilayat al faqih un des principes fondamentaux de son organisation. Cette revendication sera reprise par ses adversaires qui y voient la preuve d’une mainmise iranienne sur le « Parti de Dieu » et contestant par là même la libanité et l’attache nationale de ce dernier.

Le wilayat al-faqih d’essence religieuse est en réalité un principe de gouvernement politique. Khomeiny lui-même l’admet lorsqu’il énonce que le wilayat « signifie le gouvernement, l’administration et la gestion politique d’un pays[3] ».

Dans les faits, le wilayat al-faqih renvoie plus à un accord ou un assentiment qu’à un contrôle  intégral. De même, cet aval n’est demandé que dans certaines circonstances précises et définies, comme la mise en péril de la République islamique iranienne, la remise en cause de grands principes de la pratique du parti, ou celles dont la légalité religieuse (al-char’iyya) questionnent[4].

De même, Na’im Qasim, vice secrétaire général du Hezbollah, explicite bien les rapports hiérarchiques existant entre le Hezbollah et le régime iranien. Selon lui, le lien hiérarchique ne concerne que le waliy et le Hezbollah, donc le Guide de la révolution et non le régime iranien.

Le Hezbollah considère donc le wilayat al faqih comme « le garant de l’application des lois islamiques (…) et trace les grandes orientations politiques qui se rattachent à l’intérieur de la oumma». En ce sens, « c’est lui qui décide de la guerre et de la paix, qui est responsable de la sécurité des personnes, de leurs biens et de leur honneur[5]». Le Hezbollah a reconnu a plusieurs reprises avoir recouru au wilayat al-faqih, la formation même de l’organisation ayant nécessité la mise en œuvre du principe à travers l’aval de Khomeiny. Le recours au wilayat al faqih concerne donc des champs précis et importants, comme lorsque le parti a choisi d’entrer dans le jeu politique en 1992, ou encore lorsque des opérations militaires d’envergure sont menées contre Israël.

Comme nous l’avons dit, cet aval concerne les questions trop lourdes de conséquences pour être laissées à la méconnaissance du Guide la Révolution. Ainsi le reste des questions est laissé à la discrétion du parti, qui dispose donc d’une « grande autonomie[6] » dans la mise en œuvre de ses objectifs internes.

 

Le wilayat, fruit de la cohésion interne

Par son positionnement, le wiliy permet d’assurer au sein du Hezbollah une cohésion forte et durable. Son rôle d’arbitre permet d’empêcher toute division ou scission interne. Il tranche par ses décisions les ordres de priorités stratégiques, politiques et militaires lorsque ces derniers sont sources de différents au sein de l’organisation. Il arbitre également les divergences entre les courants et les personnes qui portent sur des questions primordiales d’organisation et dont la pérennité du parti est engagée. L’appartenance au parti étant conditionnée par l’obéissance au wiliy, toute divergence avec l’arbitrage de celui-ci entraine soit le départ volontaire soit l’exclusion du parti. En 1992, lorsqu’Al-Tufayli s’oppose au Conseil de décision à propos de la participation du parti aux élections législatives, seule la fatwa de Khamenei soutenant le Conseil permet d’éviter une division interne et le départ de Al-Tufayli[7].

 

Le taklif char’i, fruit de la discipline du Hezbollah et de sa base militante.

Concernant la base et les cadres intermédiaires du Hezbollah[8], il existe une corrélation entre le principe du wilayat al-faqih et du taklif char’i. La discipline interne n’est permise que par la combinaison de ces deux principes. Le principe du taklif char’i renvoie à l’obligation religieuse. Ce principe a lui-même été défini par un cadre du Hezbollah. Selon ce dernier, « pour ceux qui l’adoptent, le wilayat al-faqih se traduit par ce qu’on appelle l’obligation religieuse (al taklif al-char’i) qui assure à la personne qui doit la remplir (al-mukallat) un sentiment d’innocence, de non culpabilité sur le plan religieux[9] ».

Le taklif char’i ne découle pas du wilayat al-faqih directement. Le principe d’obligation religieuse tire ses racines avant tout du dogme chiite, imposant l’observation stricte des préceptes religieux et des directives qui s’ensuivent. La base du Hezbollah doit donc faire œuvre d’obéissance envers sa hiérarchie, cette dernière étant dépositaire de l’autorité de waliy al-faqih. Car comme déjà énoncé, les cadres du Hezbollah sont eux-mêmes sujets de l’autorité de waliy, en la personne de Khamenei. De même, Nasrallah, Secrétaire Général du parti, ayant choisi Khamenei comme marja le Guide de la Révolution détient donc une double légitimité religieuse[10].                                                                                                                                   A travers le respect pieux d’un principe religieux, le taklif char’i permet d’assurer l’obéissance des membres à sa hiérarchie. Cependant ce principe n’est pas utilisé de manière systématique, il répond à des situations précises susceptibles de nuire au parti. En 1998, l’application des principes du wilayat et du taklif char’i ont permis de limiter les désertions massives des cadres originaires de la Bekaa qu’a suscité l’expulsion d’Al-Tufayli du Hezbollah[11]. Autre exemple symbolique de l’application du taklif char’i, est celui de 2007, ou après des rixes entre militants du 14 mars et du 8 mars, la direction du parti déclare taklif char’i l’interdiction d’ouvrir le feu en représailles et permet d’éviter l’escalade politique.

[1] Aurélie DAHER, « LE HEZBOLLAH, mobilisation et pouvoir », p24

[2] Aurélie DAHER, « LE HEZBOLLAH, mobilisation et pouvoir », p41,

Cité par Wajih Kawtharani

[3] Aurélie DAHER, « LE HEZBOLLAH, mobilisation et pouvoir », p215

Cité dans Abdallah Qasir, « Wilayat al-faqi »

[4] Aurélie DAHER, « LE HEZBOLLAH, mobilisation et pouvoir », p215

[5] Aurélie DAHER, « LE HEZBOLLAH, mobilisation et pouvoir », H CHEHABI, p80

 

[6] Aurélie DAHER, « LE HEZBOLLAH, mobilisation et pouvoir », N. Qasim, p 216

[7] Aurélie DAHER, « LE HEZBOLLAH, mobilisation et pouvoir », p217

[8] Aurélie DAHER, « LE HEZBOLLAH, mobilisation et pouvoir », p218

[9] Aurélie DAHER, « LE HEZBOLLAH, mobilisation et pouvoir », A. QASIR, p218

[10] Les marja’s appelé marja’al taqlid ou « source d’émulation » sont les oulémas chiite chargé de guider la vie sociale des fidèles à travers notamment des édits religieux (fatwa-s). Ils sont aux nombre d’une demi douzaine, et chaque fidèle peut s’associer au marja de son choix, s’engageant moralement à respecter ses fatwa-s et à vers le khums, impot représentant 20% de chacune des plus-values du fidèle ou du montant annuel des économies réalisées par celui-ci.

[11] Aurélie DAHER, « LE HEZBOLLAH, mobilisation et pouvoir », p219

Le gaullisme face aux primaires

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Charles De Gaulle président, en 1967

Alors que les primaires sont devenues l’apanage des partis de gouvernement afin de déterminer le candidat idoine à la présidence de la République française, il semble important d’observer la position du Général De Gaulle, fondateur avec Michel Debré la V ème République, sur les élections à la magistrature suprême.

  Les pratiques politiques récentes et actuelles ont particulièrement défiguré l’idée que se faisait De Gaulle du président de la République et de son élection. Le grand Charles aurait aujourd’hui du mal à reconnaître la campagne à l’élection présidentielle telle qu’il l’a connu en 1965.

Après avoir adopté en 1962 par référendum populaire l’élection du président de la République au suffrage universel direct, le Général De Gaulle souhaitait que le chef de l’exécutif puisse tiré sa légitimité du peuple et non plus d’un collège de 80 000 grands électeurs comme cela était le cas dans la Constitution initiale de 1958.

Les primaires ouvertes, qu’elles soient de droite avec Les Républicains ou de gauche avec le Parti Socialiste tendent à remettre en cause la volonté que portait le Général de Gaulle au travers de la réforme constitutionnelle de 1962. Les primaires, comme il le soulignait, ne sont pas « une confrontation d’idées avec de vrais choix de sociétés, mais une compétition de marmitons qui font cuire de petites soupes sur petits feux ». Cette américanisation de la vie politique française favoriserait selon lui les luttes internes et fratricides au sein des partis au travers d’un jeu médiatique déplorable, et-ce au détriment de l’émergence d’un véritable candidat providentiel.

« L’homme providentiel »

De Gaulle prônait avant tout la relation entre les citoyens et une personnalité forte. Une personnalité forte et charismatique qui saurait créer un lien indéfectible avec les citoyens français dont il tiendra sa légitimité. Pour le Général, l’ « homme providentiel » comme il aimait le dire, ne doit en aucun cas être bridé par la machine politicienne partisane au travers du mécanisme des primaires, mais doit au contraire recueillir un élan naturel et légitimant de sa famille politique évitant de fait les divisions internes qui pourraient nuire à la pratique du pouvoir par l’exécutif une fois le mandat commencé, comme nous avons pu le constater sous le quinquennat de François Hollande avec les « frondeurs ».

La seule et unique primaire valable pour De Gaulle reste le premier tour de l’élection présidentielle, où le candidat a alors rendez-vous avec l’ensemble du corps électoral.

La cyberterritorialité, une réalité méconnue du grand public 2/2

La territorialité des extensions géographiques a ainsi donné lieu à plusieurs conflits.

Premièrement, un néocolonialisme a été réalisé par le biais de particulier ou d’entreprises, américains pour la plupart, lors de l’attribution de ces ccTLD. De nombreux territoires, Africains pour la majorité, ont vu leur souveraineté numérique bafouée, lorsque des investisseurs ont demandé à l’IANA, dirigée alors par Jon Postel de se voir déléguée leur extension. Ainsi l’entreprise Freenom est la plus connue pour cette spoliation numérique. D’autres exemples existent: pendant de nombreuses années, les terres australes et antarctiques françaises ont été déléguées par un investisseur gérant également d’autres extensions. Aujourd’hui encore, l’extension namibienne .NA est gérée par un gynécologue namibien.

Nous le voyons ici, la gestion des extensions fut et reste problématique en raison de différents facteurs:
Méconnaissance de certains pays peu numérisés
Règles trop souples de la part de l’IANA

Il est aujourd’hui plus que pertinent d’évoquer la situation syrienne. En effet, le bourbier syrien a entrainé une prise de conscience de la part d’entreprises utilisant l’extension .SY, telle que la startup Artsy. Coût du passage de ART.SY à ARTSY.NT: 50000USD.

Nous le voyons, l’espace numérique est directement affecté par les questions de territorialité. La géopolitique a plus que jamais sa place dans la définition d’un espace de communication pour les entreprises, organisations et particuliers. Il est primordial de définir une stratégie intégrant ces paramètres afin de garantir l’intégrité des données.

Enfin, la Tanzanie est devenue le premier pays à requérir l’utilisation d’une extension géographique pour tout business opérant dans ce pays d’Afrique. Un signal faible qui saura nous faire prendre consciences des réalités numériques.

 

Sources:

  1. https://priceonomics.com/the-rise-and-fall-of-ly/
  2. https://www.iana.org/domains/root/servers
  3. https://www.iana.org/reports/2005/tf-report-05aug2005.pdf
  4.  http://observer.com/2013/01/as-syria-worsens-art-sy-changes-unique-url/
  5. http://cio.co.ke/news/top-stories/tcra-to-enforce-use-of-.tz-domain-names

 

La cyberterritorialité, une réalité méconnue du grand public 1/2

Les noms de domaine sont couramment utilisés dans la compréhension et la territorialité d’Internet: pages Web, Emails, FTP,… Cependant, comme chaque actif, qu’il soit matériel ou immatériel, une appartenance territoriale existe mais reste peu comprise du grand public. Tel le pétrole pour les UAE, le phosphate pour la Polynésie, l’économie liée à la vente de noms de domaine est une manne financière pour de nombreux pays. Explications.

En 1983, Jon Postel et Paul Mockapetris, deux chercheurs à l’Université de Californie du Sud, développèrent un outil technique pour rendre plus souple l’utilisation des ressources informatiques. En effet, jusque là, il fallait accéder,  et donc mémoriser, l’adresse IP d’un serveur afin d’accéder au contenu lié. Poste et Mockapetris inventèrent le Domain Name System, système des noms de domaine.

Ainsi, une suite de caractères alphanumériques permettent tel un masque d’accéder à une ressource. Pour un internaute souhaitant accéder au site du Sénat, il est préférable pour lui d’aller sur http://www.senat.fr plutôt que 158.255.107.218. De même, cela permet au site du Sénat de changer d’adresse IP sans que cela soit dommageable pour lui et son public.

Le système des noms de domaine est architecturé selon des niveaux, séparés par un signe de ponctuation, le point. Il se lit de droite à gauche.

Prenons le site du Sénat: http://www.senat.fr .Même s’il s’agit du site officiel, ce n’est pas le nom de domaine complet. Ce dernier étant http://www.senat.fr.

– FR est donc le domaine de premier niveau. Il s’agit d’une extension géographique, appelée ccTLD, tous les territoires du Monde en ont.
– SENAT est le domaine de deuxième niveau.
– WWW est le domaine de troisième niveau. Tim Berners Lee, pour différencier les pages Web des accès FTP ou MAIL, a souhaité utiliser la dénomination WWW.

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Voilà pour les fondamentaux techniques. Car l’utilisateur final, l’Internaute, comprend mal ce système de noms de domaine. L’apparente simplicité technologique apporté par Google, laisse supposer que tout est simple d’accès et que la territorialité n’est pas présente sur Internet. Hors, il n’en n’est rien.

Revenons à ces extensions géographiques, les fameux ccTLD: country-code Top Level Domain. Chaque territoire est représenté, selon la norme ISO3166-2: FR pour la France, US pour les Etats Unis, IT pour l’Italie, IR pour l’Iran,… Lorsque Youtube communique avec youtu.be, l’entreprise américaine communique avec une extension belge, gérée par une entreprise belge, DNS Belgium. Cette réalité est peu comprise. Lors de l’intervention militaire en Libye de 2011, de nombreux sites Internet américains utilisant l’extension .LY ont découvert avec stupeur cette réalité. .TV, l’extension des îles Tuvalu permet à ce petit pays polynésien d’augmenter substantiellement son PIB, en devenant la première ressource à l’export. Les noms de domaine .TV sont ainsi loués par le biais de Verisign, entreprise américaine historique, gérant l’un des serveurs de base d’Internet, le a.

La Guerre civile Chinoise : Le triomphe communiste et la destruction des forces nationalistes (1945-1949)

La Guerre civile chinoise aboutit, entre 1945 et 1949, à la victoire du PCC (parti Communiste chinois) sur son ennemi nationaliste (parti du Guomindang, GMD). Celui-ci se repliera pour former la République de Taïwan qui reste toujours en conflit avec la République Populaire de Chine. Ce conflit reste toujours difficile à décrire pour les historiens à cause du manque de ressources archivistiques sur ce sujet et du verrouillage de son Histoire par la République populaire de Chine. En quatre ans, les forces nationalistes, victorieuses des Japonais et contrôlant les trois-quarts du territoire chinois, seront progressivement repoussé au Sud puis dans les îles de Formose. Comment peut-on expliquer ce retournement de situation et décrire en plusieurs phases ce gigantesque conflit ?

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La Guerre Civile Chinoise 1946-1950. (source: https://upload.wikimedia.org)

Une lutte ancrée dans l’Histoire de la Chine

Les nombreuses guerres civiles que connaît la Chine trouvent leurs racines dans l’affaiblissement progressif de l’Empire durant le XIXe siècle. Miné par des dissensions internes, affaiblis par la corruption et la pression des régimes colonialistes (politique de la canonnière et guerre des Boxers 1900) la dynastie Quing s’effondre. L’Empire de Chine laisse place à la République de Chine qui se forme par le biais d’une révolution moderniste et nationaliste en 1911-1912. L’administration provinciale largement autonome favorise la division de la Chine en fiefs dominés par les  »seigneurs de guerre » devenus autocrates et indépendants. En 1922, le GMD et le PCC s’unissent dans un premier front uni pour réunifier le pays. En 1926,  »l’expédition du Nord » met fin à cette première Guerre Civile. En 1927, les nationalistes se retournent contre leurs alliés communistes pour prendre le contrôle du gouvernement de la République de Chine et ils s’affrontent plus ou moins violemment entre 1927 et 1937. Sur le point de succomber (longue Marche), les communistes chinois sont sauvés par l’invasion japonaise qui permet la formation d’un second front uni entre communistes et nationalistes. Une fois les japonais vaincus et définitivement chassés de la Chine en 1945, les affrontements reprennent entre les deux partis dans une Troisième Guerre civile (1945-1949) appelé aussi Guerre de Libération.

Les différentes phases de la Guerre

Lors de la résistance à l’invasion japonaise, l’armée chinoise est largement surclassée, mais l’immensité de la Chine et le potentiel démographique chinois aspirent peu à peu les forces japonaises qui s’enlisent dans cette guerre. Le front uni montre des signes de fragilité dès le début de cette guerre, les forces nationalistes et les troupes communistes combattent séparément (les communistes se rassemblent dans les formations de la Nouvelle 4ème Armée et la 8ème Armée de Route) et des combats ont régulièrement lieu entre ces différentes unités. Malgré les tentatives de médiations occidentales, l’affrontement reprend très rapidement en 1945.

. A l’Automne 1945, chaque camp tente de gagner la Mandchourie reconquise par les Soviétiques pour s’emparer de ces vastes plaines industrielles et des stocks d’armes de l’armée japonaise encore sur place. Les communistes affrontent les troupes nationalistes pour le contrôle de la Mandchourie et défendent leur fief de Yan’an en Chine centrale. Utilisant des tactiques de défense mobile, les communistes usent cette première offensive.

. Fin 1948, les troupes communistes lancent, à leur tour, plusieurs offensives en Chine du Nord-Est. Cette offensive détruit de nombreuses divisions nationalistes (33 divisions perdus, 470 000 hommes) et ouvre l’accès à Beijing aux forces communistes. Parallèlement, les forces communistes du Nord éliminent la présence nationaliste en Chine centrale au cours de la campagne  »des plaines centrales » au cours des batailles

. De janvier à octobre 1949, les communistes balaient les dernières forces nationalistes défendant la rivière du Yangzi (région de Shanghai) puis s’emparent progressivement des bastions nationalistes du Sud. Tchang Kaï-Chek franchit le détroit de Formose avec les débris de son armée et du parti nationaliste pour former à Taïwan un gouvernement  »en exil ».

Un succès complet de la guerre révolutionnaire maoïste

Cette Troisième Guerre civile chinoise et la victoire communiste en 1949, représentent bien les succès des principes de Guerre révolutionnaire. David Galula, le théoricien de la guerre de contre-insurrection illustre même ce concept en prenant exemple sur la guerre civile chinoise. La stratégie et les principes de la guerre révolutionnaire combinent un ensemble cohérent de moyens socio-politiques militaires et diplomatiques mis au service de la victoire finale. Le camp révolutionnaire (les communistes) doit, tout d’abord, s’enraciner dans la population et prendre le pas sur les administrations nationalistes. Les communistes acquièrent le soutien du milieu rural, délaissé par les nationalistes grâce à leur promesse de réforme agraire. Cette annonce fait basculer les campagnes dans le camps communiste et fourni à l’APL (Armée Populaire de Libération) une manne de recrues quasiment inépuisable. Les communistes alternent guérillas intensives et offensives de grandes ampleurs localisées. Au contraire de leurs ennemis nationalistes, les communistes peuvent s’affranchir de la défense statique des territoires pour se concentrer uniquement sur l’élimination d’un maximum d’unités nationalistes. Tous ces facteurs, alliés à une stratégie inepte et incohérente d’un camp nationaliste corrompue et violent, apportent la victoire aux communistes chinois qui proclament la République Populaire de Chine qui est toujours en place de nos jours. Cette guerre est la cause majeure de la difficile situation géostratégique dans le détroit de Formose avec la création de deux République de Chine concurrentes.

Benoit GRELIER

La Nouvelle Histoire-bataille : Pour un renouveau de l’Histoire militaire (Partie 1/2)

Depuis la fin du XXe siècle, nous assistons à une résurgence de l’Histoire militaire dans les études universitaires grâce aux nombreuses parutions de travaux anglo-saxons. Ce nouvel engouement pour l’Histoire militaire se traduit par un retour de l’histoire-bataille. Cette nouvelle histoire-bataille n’est plus réservée, comme au XVIIIe siècle, aux militaires ou aux spécialistes qui étudiaient les mouvements de troupes et les grandes manœuvres des armées, mais aussi à des civils et à des universitaires voulant plonger au cœur des combats pour appréhender tous les aspects de la Guerre.

Pourquoi l’Histoire-bataille est-elle décriée par les historiens français ?

Les traditions historiographiques de la France et du monde anglo-saxons sont très différentes au XIXe et au XXe siècle. Sur le continent européen, l’histoire militaire est trop empreinte de nationalisme pour que les études qui en résultent soient capables d’aborder la question sans tomber dans la controverse historique ou la critique. L’historien anglais John Keegan explique cette différence Outre-Manche : « Il n’y a réellement que les pays de langue anglaise dont, à l’exception de l’Amérique au temps de la guerre civile, les campagnes militaires ont toujours lieu à l’étranger, qui ont élevé l’histoire militaire au niveau d’une science […] Pour la majorité privilégiée que nous constituons, la guerre pendant cent cinquante ans – à peu près la période de développement de l’histoire moderne – s’est réduite à un spectacle ».

Les deux guerres mondiales ont traumatisé les populations européennes et ont laissé les historiens français du XXe siècle incapables d’aborder l’histoire militaire sans s’attacher à décrire les horreurs et la barbarie de la guerre, marginalisant les études du phénomène guerrier. L’avènement de l’École des Annales, apparue en France dans l’entre-deux-guerres et confortée durant les années 1950-1960, a encore renforcé ce rejet. En effet, les historiens se réclamant de cette école historique critiquent l’Histoire  »traditionnelle » faite par les méthodistes qui prônent l’accumulation de faits et leur conception étroite des documents : faire de l’Histoire avec un même type de document sans les critiquer, l’Histoire était installée dans une sorte de  »routine », ces sources écrites sont en grande partie rédigées par les institutions officielles, les élites, cela détermine le contenu de l’histoire qui n’évolue pas.

Les années 1970 voient l’avènement de la  »Nouvelle Histoire », terme employé par les historiens des Annales, qui relève d’une réflexion sur leur propre discipline. Les partisans de cette Nouvelle Histoire veulent faire une histoire globale, pluridisciplinaire qui met en rapport les approches historiques avec les autres disciplines des Sciences Humaines (la sociologie, la psychologie, la géographie, …). Cela a pour conséquence l’élargissement des sources que l’historien doit étudier (les journaux, les registres paroissiaux, les documents iconographiques). Il va dorénavant utiliser l’anthropologie, c’est-à-dire monter la permanence de l’être humain qui conditionne alors le comportement individuel et s’intéresser aux questions économiques et sociales qui ont pris de l’importance à partir des années 30. L’étude des mentalités ne peut pas s’appliquer à des événements très courts, mais plutôt au terme de l’analyse d’une évolution sur le long terme. L’Histoire militaire est donc laissée de côté car les batailles et les engagements importants ne dictent pas, selon les historiens des Annales, le cours de l’Histoire et ne peuvent permettre à l’historien de comprendre les mutations et les changements des  »mentalités » et de la civilisation. Le terme d’Histoire-bataille est d’ailleurs une expression péjorative utilisée par les fondateurs des Annales March Bloch et Lucien Fevbre. Nous pouvons tout de même remarquer un certain intérêt pour la bataille de la part de grands noms de l’École des Annales comme dans les ouvrages de Georges Duby Le Dimanche de Bouvines, ou encore celui Marc Bloch, L’étrange défaite. Georges Duby parle de « l’attrait du plaisir » pour expliquer cette soudaine envie d’écrire une histoire événementielle, car il trouvait intéressant de s’approcher « des combattants de Bouvines comme d’une peuplade exotique, notant l’étrangeté, la singularité de leurs gestes, de leurs cris, de leurs passions, des mirages qui les éblouissaient. ». Il faut attendre les années 90 pour que l’École des Annales perde son influence et ne laisse la place à un certain retour de l’événement en France. La bataille ne sera plus vue comme un événement singulier qui survient au hasard de l’Histoire, mais comme un facteur de construction des Nations qui va entraîner de nouvelles interprétations sur une période donnée. Ce terme de Nouvelle histoire-bataille veut réconcilier l’histoire-bataille traditionnelle avec la Nouvelle Histoire.

Benoit GRELIER