Le 17 décembre, le Conseil de Sécurité de l’ONU a adopté une résolution marquant le passage de l’organisation internationale dans une lutte à outrance contre DAECH. Celle-ci vise à priver l’Etat Islamique de ses avoirs financiers et à geler toutes ses possibilités de financement. Ces mesures remettent dans le même temps en pleine lumière les aides financières fournies par les pays du Golfe.
Au soir du jeudi 17 décembre, la salle de réunion du Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations Unies, à New York est en pleine effervescence. Sous la houlette de Jacob Lew, secrétaire du Trésor américain, qui assure la présidence tournante de l’ONU, les quinze pays membres du Conseil de Sécurité votent, à l’unanimité, la résolution pouvant s’apparenter à une déclaration de guerre financière à DAECH. Avant le vote, le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, de retour de Paris après la signature de l’accord internationale de la COP 21, a déclaré devant les ministres des Finances des quinze pays du conseil : « Alors que Daech et d’autres groupes terroristes diffusent leur propagande haineuse et multiplient leurs attentats meurtriers, nous devons unir nos forces afin de les empêcher d’acquérir et de déployer les ressources qu’ils pourraient utiliser pour perpétrer d’autres crimes ».
Détruire les ramifications financières de DAECH
Une mesure qui n’est pas une nouveauté puisqu’un comité de l’ONU avait déjà été mis en place, après le 11 septembre 2001, pour s’attaquer aux financements d’Al Qaïda. C’est ce même comité, renommé « Comité des sanctions EI-DAECH et Al Qaïda », qui appliquera la résolution adoptée par le Conseil de Sécurité. Il devra rendre dans quarante-cinq jours un rapport stratégique avec ses conclusions et ses axes d’attaques contre les financements de DAECH. Un chantier d’envergure puisque le comité recense déjà 243 personnes et 74 entités, et que les revenus mensuels de l’Etat Islamique sont estimés à 80 millions de dollars par mois. L’accord fait suite à celui adopté en février ayant déjà mis-en-place les bases d’une condamnation des acheteurs du pétrole et des œuvres d’arts de l’EI. Chaque pays membre aura quatre mois pour rendre un dossier sur les mesures prises dans ce domaine et devra renforcer sa législation contre le financement du terrorisme. Le Groupe d’Action Financière (GAFI), dépendant de l’ONU et installé à Paris, sera chargé de la vérification des mesures mises en places au niveau étatique et d’appliquer d’éventuelles sanctions.
La résolution a été la convergence d’une volonté commune de la part de tous les Etats engagés contre DAECH, déjà marquée lors du G20 du 16 novembre dernier. Née d’une volonté française, élaborée de manière conjointe entre la Russie et les Etats-Unis, elle est la somme d’une réflexion collective devant le péril imminent que représente l’Etat Islamique. Quand bien même les bombardements de la coalition internationale ont mis à mal ses sources de revenus, en particulier les frappes chirurgicales ayant touchés les moyens de transport de pétrole et les raffineries clandestines, les dernières actions offensives de DAECH montre que le travail est loin d’être terminé. Afficher la volonté de lui couper les vannes de la Finance, c’est l’empêcher, également, d’exercer le contrôle des services mis en place dans les territoires sous son contrôle. En Irak, le gouvernement a déjà mis en place des mesures fortes en empêchant toute transaction entre la banque centrale d’Irak et ses 90 succursales tenues par l’EI.
Le président russe, Vladimir Poutine, lors de sa conférence de presse annuelle au matin de la cession de l’ONU devant voter la déclaration, a déclaré : « Nous soutenons en principe l’initiative des Etats-Unis d’une résolution à l’ONU, mise au point conjointement par Washington et Moscou », explicitant l’accord des deux pays à ce sujet lors de la venue du secrétaire d’Etat John Kerry à Moscou mardi dernier. Le représentant permanent de la Russie à l’ONU, Vitali Tchourkine, a déclaré à l’issue de l’accord qu’il témoignait de la « compréhension commune du danger de la menace terroriste, du besoin d’y réagir rapidement et de manière adéquate ».
Alors qu’au niveau français, le ministre des Finances et ses équipes sont engagés depuis les attentats de janvier dans la lutte financière contre DAECH, il a déclaré le même jour que la mission de l’ONU visera « le gel des avoirs qui seraient d’une manière ou d’une autre tirés du trafic du pétrole ». Cet arsenal sera complété par des interdictions de voyager aux banquiers suspectés de collusion avec l’EI, une lutte accrue contre le trafic d’œuvres d’art ainsi qu’embargo sur la circulation d’armes à destination de la Syrie et de l’Irak. Si la rédaction des 28 pages de mesures et des 98 points adoptés par le conseil de sécurité a été effectuée sous la direction des Etats-Unis et de la Russie, l’initiative est bien française, fruit des discussions de Barack Obama et de François Hollande après les attentats meurtriers qui ont frappés Paris le 13 novembre. Des entretiens entre Michel Sapin et Jacob Lew, secrétaire d’Etat au Trésor, sont planifiés ce 18 décembre, sur le partage d’informations via le réseau d’interception américain des mouvements bancaires, SWIFT. Ce partage d’informations permettra la détection par les banques des transactions suspectes et un croisement immédiat avec les données SWIFT et les informations des services de renseignement des pays du Conseil de Sécurité. Le ministère des Finances a par ailleurs mis en place un dossier, très complet, à l’usage des professionnels des organismes financiers, d’assurance et des marchands d’art et de biens précieux, permettant de ne pas tomber dans les filets des trafics de DAECH. Un dossier axé sur la vigilance financière, le commerce de pétrole, le commerce des biens culturels, les matières premières, les transferts financiers, contrats d’assurance et ONG œuvrant avec certaines zones. Il est possible de trouver ce rapport ici : http://www.tresor.economie.gouv.fr/10858_lutte-contre-le-financement-de-daech
La volonté internationale de lutter contre le financement de DAECH a remis, depuis plusieurs semaines, les apports des pays du Golfe aux djihadistes au premier plan des médias.
Le vrai rôle des pays du Golfe dans le financement de DAESH
De par leur rôle historique dans le financement d’Al Qaïda, les pétromonarchies du Golfe sont visées par de nombreuses suspicions vis-à-vis de leurs collusions avec l’Etat islamique. Dans un article d’Atlantico consacré aux financements occultes de DAECH, Roland Lombardi, spécialiste du Moyen-Orient, explique que ce sont plus des particuliers, des fondations ou des organisations d’Arabie Saoudite et du Qatar qui apportent leur soutien financier plus que les Etats eux-mêmes, engagés dans de nombreux accords économiques et commerciaux avec les Etats de la coalition. Ces dernières années, les Etats du Golfe étaient encore les principaux soutiens du Hamas, financiers mais aussi lieu d’accueil de leaders du mouvement palestinien, mais aussi des talibans, de mouvements islamistes libyens et d’AQMI.
Principaux soutiens également pour le Front Al Nostra par l’Arabie Saoudite et pour l’Etat Islamique et les frères musulmans par le Qatar. Mais depuis près d’un an, l’Etat Islamique s’est retourné contre la main nourricière en menaçant le Royaume d’attentats sur son sol. Selon Roland Lombardi, l’indépendance financière de l’Etat Islamique et la pression internationale forcent les saoudiens et les qataris à entrer dans le jeu de la lutte contre celui-ci, dans le but également de préserver ses intérêts en Occident. Par sa politique extérieure déplorable, la situation est compliquée par la baisse du prix du baril, et les saoudiens ouvrent désormais le dialogue avec leur seul espoir, les russes…
Kamed Daoud, journaliste algérien poursuivi par une fatwa pour son opposition forcenée à l’intégrisme musulman, déclarait récemment dans une tribune qu’il fallait s’attaquer « à la cause plutôt qu’à l’effet », déclinant le fait que les pétromonarchies du Golfe avaient initiés la pensée islamiste au Moyen-Orient. De nombreuses voix s’élèvent en France pour lutter contre l’outrecuidance des investisseurs qataris, et souhaitant un certain nombre de sanctions françaises à l’égard de ces pays. Dans une interview le 17 décembre, Manuel Valls déclarait son soutien à ces deux contrées, engagés à nos côtés dans la lutte contre DAECH, mais déclarant tout de même : « Reste la question de l’ensemble des financements de l’EI, mais au Moyen-Orient les choses sont très compliquées. ».
L’Etat Islamique et son trésor de guerre
Les biens accumulés par l’Etat Islamique sont scrutés avec inquiétude par le monde entier. Contrôlant une douzaine de champs de pétrole pouvant extraire jusqu’à 40 000 barils par jour qui leur rapporte près de 1.5 million de dollars par jours, et taxant près de 10 millions d’habitants, leur trésor de guerre s’élève ainsi à près de 2260 milliards.
Si le pétrole ne représente qu’un quart de leurs recettes, les trafics en tout genre, allant des objets d’art aux trafics humains, leur rapporte des sommes colossales leur permettant de s’implanter de manière organisée dans les lieux qu’il contrôle, de lancer des politiques sociales vers les habitants et de réaliser leur propagande.
Des collusions également avec des professionnels de la Finance, avec embauches de traders et fourniture de pots de vins importants à des banquiers pour leur permettre de réaliser des transactions en toute impunité. En témoigne l’affaire de faux prêts réalisés en Angleterre grâce à la complicité d’employés de banques de la City.
L’inquiétude est donc fondée, pointant les difficultés à venir en matière de démantèlement financier de DAECH, et qui fait dire au Financial Action Task Force : « L’organisation terroriste s’autofinance en grande partie ».
Ainsi, la montée en puissance de l’indépendance financière de DAECH après le retrait progressif des soutiens pécuniaires des pétromonarchies du Golfe, fait que, malgré la volonté forte émise par le Conseil de Sécurité de l’ONU en matière de lutte financière contre l’EI, celle-ci, comme pour le volet militaire, ne se fera pas sans mal. C’est une lutte continue qui est à prévoir, d’autant plus que les réserves financières disposées dans de nombreux pays par l’organisation tentaculaire fondamentaliste pourront permettre à des petits commandos terroristes, d’ici quelques années et après le démantèlement de sa structure en Irak et au Levant, de puiser les ressources nécessaires à l’organisation d’attentats terroristes, si ces fonds n’ont pas été démantelés préalablement.
Antoine CARENJOT