Un pèlerinage sous fond de politique

Près d’un million et demi de fidèles ont afflué à La Mecque en Arabie saoudite  ce jeudi pour accomplir le pèlerinage, qui se déroule du 10 au 14 septembre. Mais cette année, le pèlerinage, où près de deux millions de personnes vont se retrouver, a lieu dans une ambiance tendue.

La ville sainte garde le souvenir du mouvement de foule meurtrier de l’an dernier où presque 2200 personnes ont perdu la vie, d’après les chiffres publiés par les gouvernements des pays d’origine des victimes. Ces informations ont été démenties par l’Arabie saoudite qui parle plutôt de 800 décès. Cet accident marque encore les relations entre l’Arabie saoudite et l’Iran, pays qui a eu le plus de victime.Et même si des mesures de sécurité ont été mises en place, les Iraniens ne pourront pas participer au pèlerinage faute d’accord trouvé avec l’Arabie saoudite. Une première depuis trois décennies.

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La foule autour de la Kaaba durant le Hadj, ouest-france.fr

Échange de mots violent entre l’Iran et l’Arabie saoudite

L’ayatollah Khamenei, guide suprême iranien chiite, a reçu mercredi les familles des pèlerins iraniens morts il y a un an. Il en a profité pour lancer de violentes attaques contre son ennemi, l’Arabie saoudite sunnite. L’Iran « ne pardonnera jamais pour le sang versé de ces martyrs », a déclaré mercredi le président iranien, Hassan Rohani. Les deux plus hauts responsables iraniens reprochent notamment aux dirigeants saoudiens de n’avoir jamais présenté d’excuses pour les morts de la catastrophe et de refuser d’autoriser une commission d’enquête islamique internationale.

En réponse, l’Arabie saoudite a condamné ces déclarations. Les propos d’Ali Khamenei sont « une claire incitation et une tentative désespérée de politiser le rite » du pèlerinage, a ainsi dénoncé mercredi le secrétaire général du Conseil de coopération du Golfe. Le grand mufti saoudien, cheikh Abdel Aziz al-Cheikh, a affirmé que les Iraniens « ne sont pas des musulmans ». Cette violente passe d’armes intervient alors qu’en mai, l’Iran avait fait savoir que les Iraniens ne pourraient pas se rendre à La Mecque cette année, invoquant la mauvaise volonté du gouvernement saoudien. Les négociations entre l’Iran et l’Arabie ont notamment échoué en raison de l’absence d’indemnisation pour les familles des Iraniens morts dans le mouvement de foule de 2015.

Le ministre saoudien des affaires étrangères avait reproché à l’Iran d’avoir exigé des conditions « inacceptables » à la participation d’Iraniens cette année. Vendredi, plusieurs milliers d’Iraniens sont allés manifester dans les rues de Téhéran pour protester contre leur exclusion du pèlerinage. Les manifestants montraient leur hostilité face aux dirigeants saoudiens.

Sécurité renforcée après une année 2015 sanglante

C’était l’épisode le plus tragique depuis vingt-cinq ans pour le pèlerinage de La Mecque. La rencontre entre deux flux de pèlerins, l’un quittant le site saint, l’autre arrivant en sens inverse, a provoqué une catastrophe au bilan extrêmement lourd.

Le surnombre de fidèles, qui accèdent au site par des tunnels et des voies suspendues, a souvent engendré des accidents. En 2006, 360 pèlerins étaient morts dans une bousculade. Et en 1990, 1 400 personnes sont mortes piétinées. Pour éviter de nouveaux mouvements de foules, l’Arabie saoudite a renforcé ses mesures de sécurité. Les pèlerins seront ainsi équipés d’un bracelet électronique, qui contiendra notamment leurs données médicales, la date d’entrée dans le royaume ou encore le numéro du passeport.

C’est une manière pour Khamenei de mettre une pression supplémentaire compte tenu des tensions entre les deux pays. L’Arabie saoudite n’entretient plus de relations avec l’Iran depuis l’attaque de son ambassade à Téhéran le 2 janvier dernier par des manifestants iraniens, en signe de contestation contre l’exécution de l’imam chiite saoudien Baqr al-Nimr. La rupture paralyse une région en proie à de nombreux conflits, la privant de négociations pourtant indispensables. Cette léthargie agit sur le hadj, certes, mais également et surtout sur la situation en Syrie, au Yémen et en Irak, où les bilans des différents conflits continuent de s’aggraver.

Emanuel Tychonowicz

17 parlementaires français à Moscou

Dans le cadre des activités de l’Association Dialogue Franco-Russe, 17 parlementaires français étaient à Moscou en fin de semaine dernière : les 17 et 18 décembre 2015. Par leur présence ils ont répondu à l’invitation de la Fondation Russe pour la Paix.

L’association Dialogue Franco-Russe (co-présidée par Thierry Mariani – Député des Français de l’étranger), a pour vocation à « contribuer à l’approfondissement des relations stratégiques et du partenariat privilégié entre la France et la Russie. Elle encourage un dialogue efficace tant au niveau officiel que dans les milieux d’affaires et au sein des sociétés civiles ». Cette association tente par ses actions, de réanimer les échanges entre les deux pays afin de promouvoir et d’intensifier le dialogue politique. Les deux Etats ont traditionnellement l’habitude de se réunir à travers la Grande Commission parlementaire France-Russie. Ces rassemblements sont réguliers depuis la création de la commission en 1995. Le dernier en date remonte cependant au 6 février 2013.

Les parlementaires français ont donc rencontré leurs homologues russes au cours de cette visite. Ils ont échangé sur les points de l’actualité internationale et sur les relations bilatérales.

Thierry Mariani, rejoint par Vladimir Iakounine (Président des chemins de fer russes) a d’ailleurs précisé que l’objectif de cette visite était de « réactiver les échanges entre parlementaires, afin de promouvoir le dialogue politique entre la France et la Russie ». Objectif qui s’inscrit directement dans les activités de l’association.

Ils ont également rencontré Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires Etrangères, Sergueï Narychkine, Président de la Douma et Leonid Sloutsky, Président du groupe d’amitié Russie-France. Ces deux derniers, sous le joug des sanctions européennes, ne peuvent se rendre sur le territoire de l’Union européenne.

Mardi 15 décembre, M. Sloutski s’exprimait ainsi : « Nous voulons nous pencher en profondeur sur toutes les questions à l’ordre du jour international et bilatéral, surtout dans le contexte actuel où la session de la Grande commission parlementaire France-Russie est annulée pour la deuxième année consécutive« . Il a également précisé que les parlementaires français prendraient part au colloque interparlementaire du 17 décembre. Colloque dont les sujets principaux étaient la situation en Syrie et la crise ukrainienne.

Plusieurs délégations françaises ont déjà fait le déplacement en Russie. Ces actions intensifient selon les souhaits de l’association, les relations franco-russes. En Avril, à l’initiative de M. Mariani, des parlementaires (dont deux députés de gauche) étaient à Moscou. En septembre 2014, quatorze parlementaires ont également apporté leur soutien concernant la crise en Ukraine au Gouvernement Russe. Ils avaient alors rencontré le Président de la Douma.

 

Parmi cette délégation et accompagnant M. Thierry Mariani (LR) Député des Français de l’étranger figurent les députés Guillaume Chevrollier (LR), Claude De Ganay (LR), Nicolas Dhuicq (LR), Sauveur Gandolfi Scheit (LR), Denis Jacquat (LR), Dominique Tian (LR), Michel Voisin (LR), Maurice Leroy (UDI), Alain Marleix (LR), Olivier   Marleix (LR), Alain Marsaud (LR), Patrice  Martin-Lalande (LR) et Yannick Moreau (LR). Ainsi que les Sénateurs René Danesi (LR), Eric Dolige (LR) et Yves Pozzo Di Borgo (UDI).

Coline CHARPY

Les enjeux du rétablissement des relations diplomatiques entre les Etats-Unis et Cuba

Sans titre

– (c) DR

Le 17 décembre 2014 après plus d’un demi-siècle d’interruption les Etats-Unis et Cuba ont décidé de rétablir leurs relations diplomatiques. Retour sur les évènements ayant poussé ces deux pays au rapprochement.

 

 

La libération de prisonniers comme élément déclencheur
Depuis 2006 déjà des signes de rapprochement étaient visibles. D’abord avec l’accession de Raul Castro au pouvoir qui avait décidé de mettre fin aux diatribes envers les USA et Barack Obama qui avait assoupli les règles encadrant les voyages sur l’île. Elément le plus symbolique de réconciliation : leur poignée de main en 2013 à Johannesburg lors de la cérémonie en hommage à Nelson Mandela.

La lutte contre le virus Ebola a aussi permis le rapprochement entre pays : Cuba ayant déployé de grands moyens dans cette lutte a vu son initiative saluée par le secrétaire d’Etat américain. Il faut aussi saluer le rôle du pape François dans cette décision qui dès le mois d’octobre avait envoyé lettres et délégations dans les pays, afin d’encourager leur rapprochement.

Le 17 décembre 2014 c’est aussi la date de libération par les autorités cubaines d’Alan Gross, un américain détenu depuis cinq ans à la Havane. Ce membre de l’agence fédérale américaine pour le développement international avait en effet été arrêté pour avoir introduit des outils d’espionnage satellite sur l’île. Cette libération trouve sa place dans un échange plus large de prisonniers : les Etats Unis ayant libérés précédemment 3 prisonniers cubains accusés d’espionnage et les cubains ayant libéré 53 personnes considérées comme prisonniers politiques.

Les conséquences de la réconciliation
Les conséquences diplomatiques sont d’abord la mise en place d’ambassades ainsi qu’une mise en contact de hauts responsables concernant les questions de l’immigration ou du trafic de drogue. Les voyages entre le continent et l’île vont être facilités. Le commerce lui va pouvoir se développer entre entreprises américaines et entreprises privées cubaines. Au niveau bancaire il sera plus facile de transférer des sommes des Etats-Unis vers Cuba et il sera aussi possible pour un américain d’utiliser sa carte bancaire sur l’île. Au niveau télécoms une mise en place d’internet sur l’île et de nouveaux moyens de communication est envisagée.

Malgré la volonté de réconciliation entre les deux pays, l’embargo en place depuis 1962 envers Cuba n’est toujours pas levé. Cette décision de suppression revenant au Congrès, divisé sur la question.

L’arrestation de dissidents par Cuba
Mais les problèmes persistent : au 1er janvier a eu lieu un rassemblement de dissidents au régime devant la prison de la Havane. Ces derniers demandant la libération d’une trentaine de manifestants enfermés deux jours plus tôt, dont l’artiste Tania Bruguera qui aurait organisé la réunion précédente alors même que le rassemblement n’était pas autorisé par le régime castriste. Le département d’Etat américain s’est dit « profondément inquiet » concernant ces récents évènements.

Romina REBOIS

Changement dans la diplomatie chinoise : qu’est-ce que cela implique ?

Source: REUTERS  Greg Baker/Pool  Tous Droits Réservés

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Greg Baker/Pool
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La Chine opère un virage dans ses priorités géopolitiques, impliquant un risque de tensions avec le reste du monde développé.

(L’article original ici : http://thediplomat.com/2014/12/chinas-big-diplomacy-shift/ )

Le gouvernement chinois a pris la décision de mettre en priorité l’accent sur ses relations avec ses voisins directs plutôt qu’avec les Etats-Unis et les autres grandes puissances, à l’avenir. Cette information, confirmée par la Central Work Conference on Foreign Relations, indique un changement majeur dans la diplomatie chinoise. La décision reflète la volonté de Pékin de revitaliser le pays, ce qu’elle estime plus facile à réaliser avec les puissances émergentes plutôt qu’avec les nations occidentales. Cette décision est susceptible d’entraîner des tensions avec les grandes puissances.

Un cadre général des affaires étrangères

A la Central Work Conference, Xi Jinping a opéré une transformation du le cadre général des affaires étrangères traditionnel de son pays. Ce cadre général est une liste, simple mais stricte, de catégories de pays, classés par ordre d’importance et fournissant un schéma d’orientation de la politique étrangère et de la diplomatie chinoises. Cet ordre de priorité a cependant peu changé depuis la création du parti et des orientations données par Mao Zedong.

Il existe 5 catégories : les grandes puissances (Etats-Unis, Europe, Japon et Russie), la périphérie (tous les pays limitrophes de la Chine), les pays en voie de développement (tous les pays à faible PIB, y compris la Chine), les organisations multinationales (ONU, ASEAN, …), et la diplomatie publique. C’est un système simple et largement utilisé, malgré les quelques incohérences qu’il implique, comme la redondance de certains pays dans plusieurs catégories.

Revalorisation de la périphérie, recul des grandes puissances.

En septembre 2013, le changement a été amorcé. La Chine reconnaît que cette zone limitrophe est vitale pour son avenir, et y projette des objectifs à long-terme économiques et géopolitiques. La Chine réalise plus de chiffre avec ses voisins asiatiques qu’avec les Etats-Unis et l’Europe réunis, avec 1.4 milliard de dollars en 2013, selon un responsable des affaires étrangères chinois. L’importance est aussi géostratégique, car pour devenir la puissance globale dont elle rêve, la Chine doit sécuriser les zones Est et Sud, souvent en proie à différentes tensions et revendications par d’autres acteurs. Il devient donc clair pour la Chine de revoir ses priorités.

Mais la revalorisation de la périphérie passe par le retrait dans les relations avec les puissances occidentales. L’écart technologique et économique se réduisant entre l’Ouest et la Chine, les premiers stagnants suite à la crise économique, la Chine n’a plus à se reposer sur le système industriel occidental. Les marchés émergeants en Asie seront probablement de taille à concurrencer les marchés occidentaux, et les capacités et connaissances technologiques de la Chine ont rattrapé en partie leur retard sur l’Ouest, malgré une capacité d’innovation encore faible. L’armée ne cesse de se moderniser, en particulier sur mer, lui donnant du poids dans ses revendications territoriales. La Chine veut aussi coopérer plus avant avec les « puissances majeures en développement », les leaders de demain (elle-même, Russie, Inde, Brésil, Mexique, Afrique du Sud et Indonésie.)

L’importance grandissante des alliés et partenaires américains.

Ces décisions peuvent paraître étonnantes, au vu des récentes avancées sino-américaines sur le réchauffement climatique et la coopération militaire. La coopération avec les Etats-Unis reste forte et porteuse pour la Chine, mais les analystes chinois prévoient que cette zone périphérique prendra le pas sur l’occident dans les années qui viennent, en termes d’importance économique, géographique et politique.

Ignorant ouvertement les critiques européennes et sanctionnant leur accueil du Dalaï Lama, s’opposant aux Etats-Unis sur la Mer de Chine et rejetant leurs demandes de changement dans leur comportement, notamment en ce qui concerne la cyber-guerre et les revendications territoriales, la Chine gagne en puissance et en confiance. La Chine va poursuivre l’affirmation de sa domination sur la région, et réclamer des réformes à l’échelle globale pour représenter plus justement le changement en cours dans la distribution des puissances. Dans cette situation de rivalité et de défiance croissantes, la Chine, comme les Etats-Unis, pourraient bien durcir leurs positions et prendre des mesures plus strictes pour sécuriser leurs intérêts respectifs dans cette zone.

Pour éviter une telle escalade, les Etats-Unis, malgré leur puissance et leur présence dans la zone, doivent chercher à coopérer avec leurs alliés asiatiques pour conduire la Chine à suivre, et non à défier, les principes de l’ordre international, à s’intégrer et non à tout renverser. Ceci suppose nombre de négociations et compromis.

Les pays en développement gagnent en force, alors que les puissances actuelles stagnent, voire déclinent. Les dirigeants chinois en sont conscients, veulent en profiter, et les conséquences sur la géopolitique mondiale pourraient être importantes. Les puissances occidentales doivent prendre dès maintenant cette donnée en compte, pour maintenir la paix et la stabilité.

Flavien Gouabault

Une « riposte » diplomatique mondiale?

BD "Quai d'Orsay" - Tous droits réservés

BD « Quai d’Orsay » – Tous droits réservés

Sommes-nous entrés dans l’ère du « tout diplomatique » ? La Russie, droite dans ses bottes comme elle l’a été jusque-là dans le conflit syrien, crée la surprise en offrant une porte de sortie, certes fragile mais totalement inattendue, et reprend la main dans une situation de tension extrême entre les grandes puissances. De son côté le Saint-Siège entreprend une réforme « dans sa manière d’être » plutôt prometteuse avec des nominations de « diplomates » à la tête de la curie. Enfin, l’Iran et l’ « Occident » s’ouvrent à la diplomatie après plus de 30 années de quasi mutisme. Une Russie, un Saint-Siège et un Iran qui prennent en main l’initiative diplomatique… voilà qui devrait poser bien des équations complexes au MAEE qui brille depuis déjà quelques temps par sa constance (certes mais…) dans une politique du Moyen-Orient à la fois incohérente et « audacieuse » (si tant il est audacieux d’être irresponsable). Jugez par vous-même la nomination mûrement réfléchies de diplomates spécialistes du Moyen-Orient en Amérique du Sud, au moment même où l’on a besoin de leur si rare expertise…[1]

Qu’est-ce que la diplomatie ? De l’habilité dans les affaires ? Un esprit de convenance ? Tournons-nous vers un talentueux personnage qui a tant et si bien de fois su retourner sa veste du bon côté, Mr de Talleyrand (1754-1838). Fidèle à un esprit toujours aussi bien acéré, l’illustrissime définissait la diplomatie comme « la forme la plus acceptable de l’hypocrisie ». Même si cette formule lapidaire ne définit pas toutes les subtilités du domaine, elle en esquisse principalement deux : la recherche du compromis (« acceptable ») et… l’imagination et la créativité (deux qualités essentielles pour exceller dans l’art de l’ « hypocrisie »).

Une recherche « obsessionnelle » et imaginative du compromis

Ecoutons maintenant un diplomate français qui restera dans l’histoire comme celui qui au nom de la France a dit « non » à une intervention militaire en Irak en 2003. Pour l’ancien Premier ministre et ministre des Affaires Etrangères (2002-2004) Dominique de Villepin, la diplomatie c’est assumer sa responsabilité morale, politique et humanitaire[2]. Après l’erreur de la « ligne rouge » d’Obama et l’abandon de l’option militaire en Syrie, la diplomatie doit apporter sa réponse, une réponse d’ordre « humanitaire, pénale et politique ». La difficulté première est de comprendre que nous sommes à un moment charnière ou les équilibres du monde sont en train d’être renversés (« dans 10, 20 ans Les Etats-Unis ne seront plus la plus grande puissance mondiale »)… Les grandes puissances ne peuvent agir comme ils l’ont fait depuis toujours en utilisant l’argument de puissance et donc en imposant leurs vues et leurs stratégies. « Il ne faut pas séparer la légitimité de la légalité » – même si les Nations Unies fonctionnent mal.

Ce qui compte c’est la détermination. En évoquant le retard du président Obama à un diner sur la Syrie lors du G20 de Saint-Pétersbourg, De Villepin fustige une attitude allant à l’encontre de l’esprit de négociation qui dévoile une « diplomatie mondiale molle ».  La diplomatie est « quelque chose qui doit devenir obsessionnelle[3], c’est une énergie de tous les instants, il faut être capable faire bouger les lignes. Et aujourd’hui cette diplomatie elle est fataliste, elle est suiviste. Il faut aller chercher la négociation (…) pour montrer qu’il y a un chemin possible. (…). On a tellement le sentiment que la militarisation des esprits fait que dans le fond c’est tellement plus facile de faire la guerre. (…) Le raccourci militaire est enfantin. »

Qu’est-ce que chercher la négociation ? C’est être inventif et imaginatif dans son effort diplomatique. « Il faut que la diplomatie revienne à son essence c’est-à-dire la Realpolitik (« calcule des forces et de l’intérêt national »), il faut renverser la table, ça veut dire regarder avec des yeux neufs, c’est-à-dire s’imprégner de l’histoire. » Nous, européens, avons un passé plus ou moins « digéré », puisons dans notre histoire les enseignements de nos erreurs et de nos succès pour « concevoir » l’avenir avec dynamisme.

Un engagement entre raison et force au service de la vie

Enfin, la diplomatie n’est pas seulement un passe-temps, c’est un engagement qui peut parfois coûter. La gravité de cet engagement est très présente chez Albert Camus (1913-1962). « Je me révolte, donc nous sommes », dans la révolte l’Homme trouve un sens, une issue, à l’absurdité de sa condition. L’œuvre de Camus, sujet à de nombreuses polémiques, revêt aujourd’hui, un siècle après sa naissance, une dimension toute éclairante.

La diplomatie serait une vocation, un engagement. Les « Lettres à un ami allemand »[4] écrites en pleine guerre mondiale, cernent avec acuité intense ce que peut représenter l’idéal diplomatique. Ces lettres sont un hymne à la liberté, celle des « Européens libres » face aux « nazis », un hommage à son pays, et « un document de la lutte contre la violence ».

« Je ne puis croire qu’il faille tout asservir au but que l’on poursuit. Il est des moyens qui ne s’excusent pas. Et je voudrais pouvoir aimer mon pays tout en aimant la justice. Je ne veux pas pour lui de n’importe quelle grandeur, fût-celle du sang et du mensonge. C’est en faisant vivre la justice que je veux le faire vivre. » La diplomatie emprunte la voie de la légalité et de la légitimité. La passion et les grandes valeurs  affleurent mais c’est la raison qui doit avoir le dernier mot.

Cette raison, c’est celle de Pascal (1623-1662) : « deux infinis, milieu ». Se situer avec raison, « au milieu », entre la barbarie de la guerre et l’angélisme de l’idée de « civilisation ». « Car c’est peu de chose que de savoir courir au feu quand on s’y prépare depuis toujours et quand la course vous est plus naturelle que la pensée. (…) C’est beaucoup que de se battre en méprisant la guerre, d’accepter de tout perdre en gardant le goût du bonheur, de courir à la destruction avec l’idée d’une civilisation supérieure. ».

Choisir entre ces deux « infinis » ce n’est pas opter pour le pacifisme. La paix est certes « médiateur » mais la diplomatie ne se confond pas avec le pacifisme. C’est un compromis parfois déchirant. « Nous avons eu à vaincre notre goût de l’homme, l’image que nous nous faisions d’un destin pacifique, cette conviction profonde où nous étions qu’aucune victoire ne paie, alors que toute mutilation de l’homme est sans retour. »

De quel compromis parle-t-on ici exactement ? C’est le compromis entre la raison et la force : « L’esprit uni à l’épée est le vainqueur éternel de l’épée tirée pour elle-même ».

Ce n’est pas chose aisée que de trouver un compromis ! La diplomatie comme « engagement » prend ici tout son sens. Négocier, trouver un compromis nécessite raison, patience, et persévérance. Le prix en est parfois lourd lorsque l’on se trouve au cœur d’un conflit meurtrier, comme c’est le cas de Camus. « C’est le détour que le scrupule de vérité fait faire à l’intelligence, le scrupule d’amitié au cœur. C’est le détour qui a sauvegardé la justice, mis la vérité du côté de ceux qui s’interrogeaient. Et sans doute, nous l’avons payé très cher. » La diplomatie est un effort continu et exigeant qui tend vers la vérité au risque de blâme et de morts… « ce long cheminement qui nous a fait trouver nos raisons, à cette souffrance dont nous avons senti l’injustice et tiré la leçon ».

Mais quel est donc le moteur de la diplomatie ? Pourquoi, au nom de quoi, s’efforcer ? Pour éviter de sombrer dans un certain « romantisme » ou angélisme, j’opterai pour une réponse lapidaire : le moteur de l’engagement diplomatique c’est l’homme, c’est la vie. Un diplomate se doit d’être un « humaniste » en action, placer l’homme au centre. L’homme est un « corps de nuances », la diplomatie doit donc être une recherche de nuances, d’harmonisation et (et oui encore !) de compromis (qui n’est pas « compromission »). «  Nous luttons justement pour des nuances mais des nuances qui ont l’importance de l’homme même. Nous luttons pour cette nuance qui sépare le sacrifice de la mystique, l’énergie de la violence, la force de la cruauté, pour cette plus faible nuance encore qui sépare le faux du vrai et l’homme. »

Enfin, me serait-il permis de faire de ces mots de Camus la devise du master Conflictualité et Médiation de l’UCO :

« Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. »

 

Laurent TESSIER


[2] Emission « Ce soir ou jamais »,  6 septembre 2013, « Intervenir ou pas en Syrie : dilemme ».

[3] Pour mieux saisir ce que veut dire ici Mr De Villepin, la lecture  de la très divertissante BD « Quai d’Orsay » est  largement conseillée. L’intégrale est à paraître le 4 octobre 2013 : BLAIN, Christophe et LANZAC, Abel. Quai d’Orsay : chroniques diplomatiques. L’intégrale. Paris : Dargaud, 2013.

[4]  4 lettres écrites entre juillet 1943 et juillet 1944. CAMUS, Albert. Lettres à un ami allemand. Paris : Gallimard, 1991 (Folio).

La Russie reprend du service

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A l’heure où la Russie transmet le plan de contrôle des armes chimiques aux Etats Unis, elle reprend du terrain au niveau diplomatique et redevient un centre d’intérêt majeur  au niveau des relations internationales.  Fervent défenseur du régime de Bachar Al Assad depuis le début de la crise syrienne en 2011, la Russie de Poutine se placerait comme protecteur des droits de l’Homme sur la scène internationale. Paradoxalement, Poutine refusa ce même contrôle sur les armes chimiques en 2011.

Concernant la défense des droits de l’Homme, Poutine n’est pas vraiment un bon élève si l’on s’en réfère aux différents évènements passés de sa politique intérieure et internationale. On se souviendra surtout de la guerre en Tchétchénie en 1999, de la crise géorgienne de 2008, de l’arrestation musclée des « Pussys Riots » en 2012 et on en passe et des meilleures. Evidemment ce n’est probablement pas le droit international qui préoccupa le président Russe pendant toutes ces années et il serait difficile de croire que cela ait changé.

Ce changement brutal de cap du régime Russe positionne son leader en position de force vis-à-vis de son rival Barack Obama qui était à deux doigts de perdre la bataille contre le Sénat américain non favorable à une lutte armée en Syrie. Ceci dans un contexte de délaissement du Moyen Orient par la politique américaine. Etats Unis  qui auraient stocké assez d’énergie pour une durée conséquente.

Et la France de son côté ? Paris a proposé ce mercredi 11 septembre une résolution au conseil de sécurité qui vient contraindre le plan russe en forçant le régime syrien a ouvrir ses arsenaux contenant des armes chimiques sur le champs et autoriser les inspecteurs de l’ONU a inspecter ces dernières dans un délais de quinze jours. Ce qui naturellement n’a pas plû à nos amis de Moscou qui ont sût réaffirmer leur positions par rapport à l’hexagone.

Que peut-on en retenir ? Et bien la Russie qui était pointée du doigt pendant toute la crise syrienne est désormais qualifiée d’alliée des Etats Unis depuis que les deux pays ont sût s’entendre sur une résolution concernant le contrôle des armes chimiques en Syrie et soutiennent l’adoption d’une résolution onusiennes. Damas se dit d’ailleurs satisfait de cet accord entre les deux puissances. La crise syrienne a permis à Poutine de replacer son pays au devant de la scène diplomatique et de réaffirmer sa puissance face aux américains et au yeux du reste du monde. La France de son côté se dit assez sceptique. Laurent Fabius qualifie cet accord « d’étape » qui soulève de nombreuses questions et que bien que cela soit « une avancée importante », la France attend le rapport de l’ONU « pour arrêter sa décision ».

David Bourdoiseau

Une vraie politique étrangère pour un meilleur dialogue interreligieux !

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« Depuis la chute du Mur… ». Tous les cours d’introduction à la géopolitique commencent par ce fameux 9 novembre 1989, le jour où un mur est tombé bouleversant la dichotomie Est-Ouest. Depuis plus de 20 ans, le mur ne cesse tombé… et ensuite ? Quelle vision du monde en est sortie ? Les schémas se succèdent, les experts avancent et hésitent. Qu’en est-il des Etats-Unis « gendarme du monde » ? Qu’en est-il des pays émergents ? Nord-Sud, Est-Ouest… La Mondialisation avez-vous dit ? La chute du rideau de fer a brisé un schéma « confortable », sinon mis en lumière une complexité du monde qui ne date pas d’hier. Sans aucune vision claire du monde (en est-il seulement possible ?), les politiques étrangères des Etats sont vulnérables et victimes des contingences de l’Histoire. Elles avancent à tâtons dans un monde toujours plus complexe. Comment ne pas souligner, encore une fois, l’échec des politiques étrangères occidentales face à l’ « inattendu » Printemps arabe. Certes on ne peut tout prévoir, mais force est de constater que, non seulement la lecture de ce qui est véritablement un « évènement » reste péniblement insatisfaisante, mais aussi que l’implication (sous n’importe quelle forme que ce soit), ne serait-ce de la France et de l’Europe, est aujourd’hui déraisonnable.

Dans un article de La Croix (10 juin 2013), Bertrand Badie, spécialiste des relations internationales, ose poser cette question : « La France a-t-elle une politique étrangère ? ». « Nous sommes dans une monde total et inclusif et orientons notre diplomatie vers l’exclusion de tous ceux, nombreux, qu’à tort ou à raison, nous n’aimons pas. Nous construisons notre diplomatie sur une vocation obsessionnelle de juge suprême et de redresseur de torts, en oubliant que le premier de ceux-ci est de ne pas reconnaître l’autre… (…) Pourtant une analyse attentive du monde tel qu’il est montre l’urgence de la construction de nouveaux principes. (…) Elle a conféré à de nouvelles puissances des capacités diplomatiques décisives capables de nous offrir des partenariats précieux. » L’ouverture à l’autre, à ceux qui pèsent sur le monde, mais qui jusqu’alors n’ont pas voix au chapitre : les nouveaux acteurs comme les ONG et de manière générale les acteurs locaux qui, dans la configuration des conflits contemporains essentiellement intra-étatique, jouent un rôle central. Comment insérer des acteurs locaux dans le concert étatique de la diplomatie ? Un principe complexe, une démarche simple : une politique de la rencontre et du dialogue.

Parmi les différents dialogues possibles, il en est un qui est essentiel parce qu’il touche le cœur de la personne, c’est le dialogue interreligieux qui est aussi dialogue entre cultures.  Les obstacles sont nombreux mais la promesse est belle. Le 10 juin 2013, le cardinal Tauran, Président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, rappelait avec amertume et force les tensions et les ambiguïtés qui minent le dialogue entre chrétiens et musulmans. « Il y a des sujets, comme les conversions, sur lesquels on  ne peut pas traiter avec nos partenaires[1] ». Pour le P. Jean-Jacques Pérennès de l’Institut dominicain d’études orientales (Caire), «si les chrétiens commencent par discuter des questions religieuses avec les musulmans, très vite les sensibilités sont exacerbées et on aboutit à des désaccords. Alors que sur le plan culturel, le patrimoine commun est considérable.[2]»

Nombreuses sont les critiques portées contre une pratique du dialogue jugée, par les différentes parties prenantes, comme manquant parfois d’honnêteté. C’est dans la réponse à cette critique qu’il faut aborder les différents niveaux de dialogue : l’international et le local. A l’international, le dialogue a lieu entre des représentants institutionnels et religieux dans le cadre d’organisations internationales où les questions de politiques orientent les intérêts de chacun. En dépit des critiques portant réciproquement sur l’honnêteté de telle ou telle partie prenante au dialogue, l’importance est la permanence du contact qui est un signe positif envoyé aux acteurs locaux d’un dialogue «quotidien». Et c’est donc au niveau local, au plus proche des réalités concrètes de la vie, que le dialogue s’opère véritablement. C’est dans ce sens que le pape Benoit XVI a défini le dialogue interreligieux, un dialogue d’éthique et de proximité : « Dans la situation actuelle de l’humanité, le dialogue des religions est une condition nécessaire pour la paix dans le monde, et il est par conséquent un devoir pour les chrétiens comme aussi pour les autres communautés religieuses. Ce dialogue des religions a différentes dimensions. Avant tout, il sera simplement un dialogue de la vie, un dialogue du partage pratique. On n’y parlera pas des grands thèmes de la foi – si Dieu est trinitaire ou comment il faut comprendre l’inspiration des Saintes Écritures etc. Il s’agit des problèmes concrets de la cohabitation et de la responsabilité commune pour la société, pour l’État, pour l’humanité. En cela, on doit apprendre à accepter l’autre dans sa diversité d’être et de pensée.[3]  »

Le dialogue interreligieux a pour objectif une harmonisation et une compréhension mutuelle renforcée dans l’espoir d’une cohabitation pacifiée. C’est un outil de médiation, agissant depuis la base locale jusqu’aux représentations internationales, auquel on recourt pour résoudre les violences intercommunautaires et les conflits de plus grandes ampleurs. Encore une fois, le local occupe une place centrale dans le processus de pacification. « Pour enrichir et rendre effectif les projets de paix universelle, il conviendrait certainement d’y ajouter des projets de paix locale. La paix locale est une contribution obligatoire pour arriver à la paix universelle. Nous savons que l’homme est un être social fait pour vivre en communauté. Et, c’est d’abord dans la communauté qui est une petite société, que nous devons trouver des modèles ou des enseignements pour vivre en paix[4]. »

Laurent Tessier


[2] « Soixante ans de dialogue avec le monde musulman », La Croix du 7 juin 2013.

[3] Discours du pape Benoit XVI à l’occasion de la présentation des vœux de Noël de la curie romaine, salle Clémentine, vendredi 21 décembre 2012

A-t-on oublié les Chrétiens d’Orient?

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En Egypte, depuis le début de la révolution entre 60 000 et 100 000 coptes (plus grande communauté chrétienne d’Egypte) auraient fui. Lors de la chute de Saddam Hussein, les chrétiens d’Irak étaient environ 1,2 million, aujourd’hui ils seraient moins de 500.000, et beaucoup continuent de partir. En Syrie, la situation est similaire, en démontre le récent enlèvement de deux évêques syriens. Cet exode en direction, principalement des Etats-Unis et du Canada, rappelle des heures biens sombres de notre histoire.

La diplomatie vaticane a mis l’accent sur la situation d’urgence dans laquelle se trouvent les Chrétiens d’Orient. Lors de son voyage au Liban le pape Benoit XVI, a remis aux évêques du Moyen-Orient ainsi qu’aux autorités religieuses musulmanes l’exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Medio Oriente qui est non seulement le fruit des réflexions du Synode des évêques pour le Moyen-Orient (octobre 2010) mais aussi et surtout « un document qui répond à l’actualité et à la situation de détresse des minorités chrétiennes au Moyen-Orient »[1]. Le cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil Pontifical pour le dialogue interreligieux, interrogé, le 6 avril 2012 par la chaîne qatari Al-Jazeera[2], sur les raisons qui poussent actuellement les chrétiens à fuir le Moyen-Orient a souligné l’importance de leur présence pour la région. « Les chrétiens partagent le destin des peuples de la région. Et là où la paix n’existe pas, ils souffrent. Leur grande tentation est d’émigrer, parce que le processus de paix n’avance pas. Mais si les chrétiens quittent le Moyen Orient, ce sera une tragédie, parce qu’ils quitteront la terre qui les a vu naître. Les chrétiens ont toujours vécu au Moyen Orient. S’ils s’en vont, les Lieux Saints deviendront un musée et ce sera une catastrophe ». Il est urgent de stopper ce qu’il qualifie d’ « hémorragie » encouragée par le sentiment, parmi les minorités chrétiennes, d’être considérés comme des « citoyens de seconde classe ». Le danger principal vient de « l’analphabétisme religieux » : « Nous sommes parvenus à éviter le choc des civilisations, évitons le choc des ignorances ». Sans connaissance de soi et de l’autre, aucun dialogue n’est possible. Cependant les mouvements de soulèvements populaires du « Printemps arabes » pourraient éclaircir un avenir bien sombre : « ces aspirations, nées chez des jeunes en recherche de dignité, de liberté et de travail, sont bonnes et partagées tant par les chrétiens que par les musulmans ».

C’est malheureusement sans compter sur l’évolution du « Printemps arabe ». Ce mouvement populaire n’est pas religieux, il est avant tout basé sur des revendications sociales, ce n’est que plus tardivement que les mouvements fondamentalistes religieux musulmans s’y sont insérés, faisant tourner la confusion et l’anarchie à leur avantage. Les Chrétiens en tant que minorités sont pris entre deux feux. Souvent identifiés comme soutien du régime, et donc montrés du doigt tel est le cas en Syrie, parce que leur statut de minorité était protégé, ils sont aussi menacés par l’essor des groupes islamistes dont les premières victimes sont les musulmans eux-mêmes. Victimes collatérales ou véritable « nettoyage ethnique » ? Ce qui est certain est que les chrétiens, en tant que minorité, sont un facteur de stabilité, leur présence est un signe visible d’un relatif « espace de liberté ». Une présence signe de liberté et d’espoir, comparable, dans la nature, à la présence de certaines plantes ou de certains oiseaux qui nous indique l’état de la faune et de la flore.

Par cette urgence, qui ne semble pas véritablement mobiliser des actions concrètes de la part de la communauté internationale, on est en droit de se poser des questions sur la stratégie française. Où sont les orientalistes français ? Quelle place leur accorde-t-on ? Pour tenter de comprendre la prise de position indécise de la France, je renvoie à un article du bloc de Georges Malbrunot[3]. Comment ne pas s’indigner avec passion, à l’image de Gilles Kepel[4], orientaliste de renom dont le réseau d’élève essaime aujourd’hui un peu partout, qui  « n’oublie pas la dissolution de la chaire « monde arabe » à Sciences Po en décembre 2010, au moment même où Mohamed Bouazizi s’immolait en Tunisie »[5]. Situation des plus absurdes ! La France avait une « chance » de s’impliquer dans le conflit syrien de par son histoire[6] et ses liens culturels, mais aussi et surtout par son statut de protecteur des chrétiens d’Orient. Le patriarche maronite libanais, le cardinal Béchara Raï, célébrait le 1er avril 2013, l’amitié franco libanaise en présence de l’ambassadeur de France au Liban. A cette occasion, dans l’un de ses discours il rappelait l’origine de cette tradition française qui prend racine dans une charte du roi saint Louis envoyée le 24 mai 1250 au patriarche maronite. Cette charte avait été réaffirmée en 1649 par Louis XIV tandis que, en 1919, le président du Conseil Georges Clemenceau assurait au patriarche Elias Hoyek « que le gouvernement de la République demeurait invariablement attaché aux traditions de mutuel dévouement établies depuis des siècles entre la France et le Liban »[7]. Force est de constater que cette tradition a été rompue, et que l’indécision française a essuyé un échec : « Lors d’une récente visite à des communautés chrétiennes de Syrie, l’ambassadeur de France à Damas, Eric Chevalier a été accueilli par une forêt de drapeaux russes, une façon de lui signifier que la France avait perdu au profit de la Russie son statut de protectrice des Chrétiens d’Orient. [8]»

En sera-t-il de même compte tenu de la situation humanitaire catastrophique ?

Laurent Tessier


[1] Conférence de l’Institut pontifical d’études arabes et d’islamologie (PISAI), 17 mai 2013, intitulée  « The Arab Spring outside in » tenue par S.E.R. Michael L. Fitzgerald., président émérite du Conseil Pontifical pour le dialogue interreligieux (2002-2006) et nonce apostolique en Egypte et délégué auprès de la Ligue arabe à partir de 2006.

[4] C.f.  Passion arabe. Journal, 2011-2013, de Gilles Kepel, Gallimard, (« Témoins ») : récit de voyage au cœur du « Printemps arabe », témoignage passionnant et éclairant, absolument recommandé

[6] La Syrie fut placée par la Société des Nations sous mandat français de 1920 à 1946.

[8] http://blog.lefigaro.fr/geopolitique/2011/11/le-printemps-arabe-accelere-le.html