Les Jésuites, un ordre géopolitique ? (Partie 2)

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Le pape François est le premier jésuite à devenir pape. (FILIPPO MONTEFORTE / AFP

Le conflit entre jésuites et jansénistes va mettre à mal les jésuites qui vont payer cher l’issue de ce débat. Ces deux courants du catholicisme ont deux conceptions bien différentes pour la religion du Christ. Les jésuites pensent que dans chaque décision, on a sa liberté qui nous est propre. Tandis que les jansénistes pense que tout est écrit par avance, dans le cadre de la volonté de Dieu.

Par ailleurs dans les pays du nouveau monde où les jésuites se sont implantés, ils vont se faire progressivement bannir et même en Europe. Les raisons : les privilèges (non paiement de la dime donc cela semer la discorde entre eux les autres ordres religieux de l’Eglise catholique). L’autonomie accordée par le pape et les missions qu’ils faisaient. La querelle des rites provoquée par les jésuites car leur pratique ne plaît pas à tout le monde. En effet, ils s’adaptent en fonction des rites, des coutumes d’origine du peuple évangéliséAlors le pape Clément XIV supprime la compagnie de Jésus en 1773. Cette décision survient après que les jésuites sont expulsés de nombreux pays dont la France en 1763 après l’histoire de Lavalette (scandale financier qui va faire plonger la compagnie de Jésus). Toutefois, seul la Russie de Catherine II et la Prusse refusent de promulguer le décret du Pape et ainsi, les jésuites peuvent ainsi venir librement.

L’ordre est réhabilité en 1814 par le Pape Pie VII. Le retour fut possible car le pape avait la volonté de le faire tout comme son prédécesseur Pie VI. Et les grandes puissances occidentales ont manqué d’unité face aux incessantes demandes de restauration des jésuites. La restauration de la compagnie de Jésus permet la reprise de missions évangéliques. A commencer par les Etats-Unis, l’Amérique Latine, en Chine et notamment Madagascar. Avec l’ouverture de collèges, de conversions. Une mission au sens du christianisme est de faire du prosélytisme, de «  répandre la bonne nouvelle  » dans les terres qui n’ont pas été évangélisées. Puis ensuite d’arriver à les convertir à la religion catholique. Que ce soit en Amérique, en Asie ou en Océanie, la compagnie de Jésus a réussit à imprégner fortement les populations et effectuer leur prosélytisme.Japon, Chine, Australie, Etats-Unis, Pérou, Equateur, Inde et Brésil sont les parmi les premiers à voir les compagnies de jésuites débarquées.Malgré tout un faible nombre des jésuites sont en mission dans les pays. Beaucoup s’occupent de l’enseignement.

Suite à la renonciation du pape Benoit XVI le 11 février 2013. Officiellement car l’âge l’a rattrapé et qu’il était en incapacité de pouvoir mener sa fonction. Ou cela serait à cause du Vatileaks (corruption dans la gestion du patrimoine de l’Eglise). François Ier est élu pape par le conclave le 13 mars 2013. Il est de ce fait, le premier pape jésuite élu dans l’Eglise catholique. Il représente cet idéal de la pensée jésuite en étant à proximité des gens qu’il rencontre. En étant toujours à l’action et capable de garder cette présence avec Dieu. Par le biais des «  bains de foules  », des gestes aux malades, aux souffrants. De plus il possède la formation des jésuites qui dure une dizaine d’années. D’autant que jésuites ont prêté d’obéissance au pape, donc c’est assez extraordinaire que les jésuites prêtent obéissance à un pape qui est lui-même jésuite. Mais les jésuites avaient déjà bien imprégnés les coulisses du Vatican en obtenant des fonctions auprès du Pape ou ailleurs. Ce qui change avec les autres souverains pontifes c’est que le pape François a été proche et a l’expérience Concernant le choix du nom du pape selon François Euvé «  Sa décision de choisir le prénom de François le rapproche de notre fondateur Ignace de Loyola qui avait une tendresse toute particulière pour François d’Assise ».

En plusieurs siècles d’existence, la compagnie de Jésus a su se constituer comme le bras droit de l’Eglise catholique. Puis d’autres ordres ont pris plus d’importance comme l’ordre franciscain notamment. Il n’empêche cela n’enlève en aucun la capacité prosélytiste de la compagnie au vu de son bon nombre d’implantation dans les pays du monde. Leurs «  bastions intellectuels  restent en Europe mais c’est en Asie où ils recrutent le plus, c’est là où la compagnie de Jésus a le plus de chance de se renouveler  » selon Jean Delumeau. Tout en respectant leur mission d’origine à savoir respecter l’appel de la foi, défendre les opprimés et «  construire un avenir de solidarité  ».

Les Jésuites, un ordre géopolitique ? (Partie 1)

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Le pape François est le premier jésuite à devenir pape. (FILIPPO MONTEFORTE / AFP

En 1556, les jésuites étaient plus d’un milliers. En 2013, la compagnie de Jésus compte désormais plus de 17 000 membres à travers le monde. Leur influence grandissante dans le temps sera marqué par des soubresauts. Jésuite au départ de veut pas dire membre de la compagnie de jésus. Les personnes utilisaient ce terme afin de désigner une personne trop croyante, trop pieuse. C’est avec la création de la compagnie en 1534, que le terme jésuite prend son sens connu aujourd’hui.

L’ordre des Jésuites a été crée par Saint Ignace Loyola dans le courant du XVIème siècle. Il transcrit son expérience personnelle qui associe «  apostolat de tous les jours à la régularité de la vie religieuse encadrée par des vœux mais sans les obligations de la vie conventuelle  » selon Jean-Urbain Comby, professeur émérite d’histoire de l’Eglise à la faculté de théologie de l’université catholique de Lyon. C’est ainsi qu’avec son livre «  Exercices spirituels  », il parvient à lancer ce mouvement qui consiste faisant l’expérience d’une relation avec Dieu cela va permettre de porter une lumière sur les choix à faire. Leur mission est apostolat, c’est à dire diffuser la foi chrétienne. Ainsi Jean-Urbain Comby relate les ambitions de Saint Ignace Loyola. «  de partir en Terre sainte afin de convertir les musulmans  ». Cependant, cela n’étant pas possible, «  Ignace demande au pape d’approuver la création de la Compagnie de Jésus qui travaillera à l’avancement des âmes dans la vie et la doctrine chrétienne et à la propagation de la foi…  ». Les membres de la Compagnie s’engagent par un vœu particulier au service du pape. Ainsi s’annoncent les orientations de la Compagnie  : l’évangélisation lointaine, l’éducation de la jeunesse et la direction des élites comme la lutte contre la réforme protestante.  » conclu Comby. Leur symbole de la Compagnie de Jésus possède les trois lettres IHS (Jésus en grec) avec la représentation de trois clous qui sont les symboles de la crucifixion de Jésus. C’est un ordre exclusivement masculin. L’éducation a pris une grande part pour devenir jésuite. Ainsi, leur formation dure dizaines d’années (15 ans pour être précis). Ce qui leur est enseigné concerne les sciences, la théologie, la philosophie principalement des sciences humaines. Leur particularité réside dans le fait que comme tout les chrétiens, ils font voeux de chasteté, d’obéissance et de pauvreté. Sauf que un quatrième crédo s’ajoute à cela, l’obéissance totale au pape par rapports aux missions qui leurs sont confiées. Ils sont au service de l’Eglise catholique. De plus, ils vivent parmi la communauté. La mission des Jésuites est marqué par une expérience avec Dieu qui le conduit sur le chemin à se dévoué entièrement dans l’aide de son prochain.

Depuis leur création en 1534, les jésuites ont eu un grand impact à travers le développement du catholicisme et de l’autorité du pape en général. Partis de dix hommes en 1540, deux siècles après ,en 1749, ils sont 22 589. Cela montre leur période d’âge d’or. Ils ne sont reconnus officiellement que en 1540 par le pape Paul III, ce qui fonde la Compagnie de Jésus. Leur rôle est clairement établit, ainsi, ils serviront l’Eglise et par la même occasion le Christ. C’est dans un contexte mouvementé de contre-réforme que les jésuites ont pu prendre de l’influence. Cela commence déjà par le concile de Trente en 1542, qui a pour but de revigorer l’Eglise et de faire opposition à la réforme protestante. Ainsi les jésuites vont lutter contre l’influence du protestantisme car ils sont à l’origines de ces réformes nouvelles. C’est ce qui va permettre l’instauration de nouvelles règles au sein de l’Eglise comme l’enseignement du catéchisme mais aussi une amélioration de la formation des prêtres. La confession qui passe en privé et plus fréquente. Mais ils vont aussi créer des collèges, des séminaires. Car ils vont former en grand nombre à leur doctrine, et ce partout dans le monde.Au XVIIe, ils dirigeons plus de 700 écoles à travers le monde.

Saint-Siège et Terre Sainte (2/2) : la reconnaissance de la Palestine par le Saint-Siège

Le Saint-Siège est dans une situation complexe face au conflit israélo-palestinien. En 2014, on comptait près de 150.000 catholiques en Israël (latins, gréco-catholiques, maronites et autres Églises rituelles catholiques confondus) et 23.000 en Palestine. Afin d’assurer la pérennité de ses fidèles dans la terre où le Christ vécut, et afin que les pèlerins puissent toujours se recueillir autant à Bethléem (Cisjordanie) qu’au Saint-Sépulcre (Israël), l’Église dut passer des accords avec les Israéliens et les Palestiniens. Tout récemment elle a reconnu l’État palestinien. Revenons sur ces événements.

Vers la reconnaissance…

Le Saint-Siège est depuis longtemps attentif au sort des Palestiniens. Lors du discours de Noël de 1972, Paul VI reconnaît déjà le “peuple” palestinien et ces légitimes aspirations. Symboliquement, Jean-Paul II nomme en 1987 un arabe palestinien à la tête du patriarcat latin de Jérusalem. Ce même patriarche, Michel Sabbah, saura réclamer avec insistance le bien du peuple palestinien. Peu à peu, une relation se crée entre Yasser Arafat et le Saint-Siège. C’est avec l’OLP qu’un accord fondamental est signé le 15 février 2000. Cet accord stipule que les deux parties soutiennent que Jérusalem doit être une ville de gestion internationale et stable et que les autorités s’engagent à protéger l’exercice de la liberté de culte dans le territoire qui leur est confié.

Sur la base de cet accord, les deux parties vont travailler durant quinze années pour établir un nouvel accord plus précis. On note quand même deux moments forts :

  1. La visite du pape François en Terre Sainte et plus précisément le discours du 24 mai 2014 à Bethléem où il évoque “droit de deux États à exister et à jouir de la paix et de la sécurité dans des frontières internationalement reconnues”. À cet effet, le pape s’adresse publiquement et directement à Mahmoud Abbas pour parler du prochain accord.
  2. La prière commune pour la paix de Shimon Peres (en fin de présidence), Mahmoud Abbas, le Patriarche Bartolomeos et du pape François dans les jardins du Vatican le 8 juin 2014, malgré son absence de fruits visibles, témoigne du sérieux que le Saint-Siège attache à la question palestinienne.

L’accord en question

L’accord bilatéral du Saint-Siège et de l’État palestinien est donc signé le 26 juin 2014 par Mgr Gallagher, secrétaire pour les rapports avec les États et Riyad Al-Maliki, ministre palestinien des Affaires étrangères. Bien que le sujet de l’accord soit avant tout la vie l’Église en Palestine, il est aussi de facto la reconnaissance officiel de l’État Palestinien par le Saint-Siège. Le Vatican n’est certes que le 136e État à reconnaître la Palestine mais cela n’empêche pas à Israël de rappeler son opposition à cet accord. Le jour-même, le ministre israélien des Affaires étrangères fait publier sur internet ses regrets vis-à-vis de cet accord. Il regrette la reconnaissance de la Palestine comme un État, mais aussi ce qui est exprimé comme allant à l’encontre des prétendus droits du peuple juif sur le pays d’Israël et sur Jérusalem. Le ministre affirme que cette démarche ralentie les négociations directes entre Israël et les autorités palestiniennes en vue d’un accord de paix.

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DR | Signature de l’accord bilatéral par Riyad El-Maliki et Mgr Gallagher le 26 juin 2014.

Parallèlement à l’ONU

L’État de Palestine et le Saint-Siège partagent depuis quelques années le même statut à l’Assemblée Générale des Nations Unis. Ils sont les deux seuls États non-membres ayant le statut d’observateurs permanents. Le Saint-Siège l’est depuis 1964, suite à la visite de Paul VI au palais de verre, tandis que la Palestine ne l’est que depuis le 29 novembre 2012. À ce titre, ils peuvent participer pleinement au débat général, mais ne peuvent pas voter les résolutions.
La récente et symbolique affaire des drapeaux témoigne du niveau de reconnaissance internationale dont jouit la Palestine. Bien que les deux États non-membres aient eu le droit de hisser leurs drapeaux dès le 11 septembre 2015, et que les deux l’aient fait fin septembre, l’attitude du Saint-Siège dans cette affaire fut révélatrice de sa diplomatie. En effet, ce sont les Palestiniens qui demandèrent la résolution autorisant aux États non-membres de hisser leur drapeau. Cette résolution fut co-parrainé par 17 pays arabes, le Vénézuela, le Sénégal mais pas par le Saint-Siège. Le Saint-Siège a simplement dit qu’il ne s’opposait pas au projet mais qu’il s’en tenait à la tradition de ne hisser que les drapeaux des États membres, mais était prêt à accepter toute décision de l’ONU sur le sujet. Il faut noter que l’enjeu d’être reconnu État est secondaire pour le Saint-Siège. Ça notoriété est indépendante de l’existence ou non de l’État du Vatican. L’État du Vatican pourrait disparaître, le Saint-Siège resterait un sujet primaire de droit international. Son indécision sur la question du drapeau trouve ici un facteur d’explication. L’enjeu symbolique est tout autre pour la Palestine qui, elle, aspire à siéger parmi les nations. Le Saint-Siège tente de soutenir cette aspiration sans faire trop de remous diplomatiques afin de protéger ses fidèles dispersés de part et d’autre des frontières.

LOBIT Marc

Saint-Siège et Terre Sainte (1/2) : la reconnaissance d’Israël par le Saint-Siège

Octobre 2015 fut encore le cadre de nombreuses violences entre Israéliens et Palestiniens. Les autorités locales de l’Église catholique expriment leur vive inquiétude face à la montée de la tension (cf. 1 & 2). Il semblerait que la jeunesse palestinienne ne soit pas convaincu par l’utilité de rechercher la solution dite “des deux États” (cf. le journal La Croix, 19/10/2015, p. 2). Or c’est cette solution que l’Église Catholique soutient. Profitons en pour revenir sur l’histoire de la reconnaissance de ces deux États par le Saint-Siège, afin de comprendre ce que soutient l’Église. Commençons par le cas d’Israël, reconnu par le Saint-Siège en 1993.

L’ANTIQUE ANTISÉMITISME CATHOLIQUE FACE AU PROJET SIONISTE

Le regard que l’Église catholique porte sur les juifs a énormément évolué au cours du XXe siècle. L’affaire Dreyfus est un bon témoin de la méfiance des catholiques envers les juifs à la veille de ce siècle. On peut aussi rappeler que La Croix s’était autoproclamé “le journal le plus anti-juif de France” en 1890. Si le peuple catholique était largement antisémite, quelques intellectuels catholiques (tel Léon Bloy dans Le Salut par les juifs) et quelques figures du haut clergé commençaient petit à petit à s’ouvrir au judaïsme. Si bien qu’en 1904, Theodor Herzl, fondateur du Sionisme, ose exposer son projet au pape lors d’une audience. Et Pie X de lui répondre :

Nous ne pourrons pas empêcher les Juifs d’aller à Jérusalem, mais nous ne pouvons en aucun cas soutenir cela. […] Les Juifs n’ont pas reconnu notre Seigneur, c’est pourquoi nous ne pouvons pas reconnaître le peuple juif. (Herzl T., Journal. 1895-1904, Calmann-Lévy, Paris, 1990, p. 373-377)

UN REFUS THÉOLOGIQUE DE LA RECONNAISSANCE MALGRÉ LA FIN DE L’ANTISÉMITISME INSTITUTIONNEL

Le Saint-Siège ne reconnut donc pas l’État d’Israël avant les années 90s alors que les pays occidentaux et l’URSS le reconnurent suite à la déclaration d’indépendance du 14 mai 1948. En effet, le Vatican souhaitait garder de bonnes relations avec les pays arabes. Il faut aussi rappeler qu’en 1949, sur les 736 000 réfugiés palestiniens à travers ces pays, on compte 150 000 chrétiens. Ainsi la Terre Sainte se vide peu à peu de sa présence chrétienne bimillénaire à cause de la politique d’Israël. Le Saint-Siège se méfie surtout du statut que peut avoir la terre dans une certaine théologie juive qui pourrait tout justifier. Du côté religieux, l’Église a acquis un regard plus bienveillant pour les juifs. La déclaration Nostra Ætate du concile Vatican II (1962-1965) et le fait que le Oremus et pro perfidis judaeis soit enlevé de la liturgie du Vendredi Saint, mettent fin plusieurs siècles d’antisémitisme traditionnelle.

LA RECONNAISSANCE DE L’ÉTAT D’ISRAËL POUR LA SÉCURITÉ DES JUIFS ET CELLE DE L’ÉGLISE EN TERRE SAINTE

Jean-Paul II qui a vu l’extermination des juifs en Pologne, exprimera clairement en 1980 que “le besoin anxieux de sécurité [des juifs] a donné vie à l’État d’Israël”. Sans encore reconnaître l’État, il comprend ses motivations, tout en réussissant à garder de bonnes relations avec les pays arabes grâce à ses positions durant les guerres du Golfe. C’est le besoin de stabiliser le statut des catholiques en Terre sainte qui va définitivement pousser le Saint-Siège à le reconnaître, d’autant plus que la grande majorité du territoire et surtout Jérusalem étaient passées sous le contrôle israélien en 1967. L’accord fondamental est signé en 1993 et marque la reconnaissance de l’État et l’installation d’un nonce apostolique. Cet accord a aussi une portée théologique. Dans son texte même, il met en évidence “la nature unique du rapport entre l’Église catholique et le peuple juif et du processus historique de conciliation et de la croissante compréhension réciproque et amitié entre catholiques et juifs.”

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ET AUJOURD’HUI…

Bien entendu, la reconnaissance ne signifie pas l’approbation complète de la politique étatique. Des désaccords restent : le sort des palestiniens est dénoncé par Mgr Sabbah, les papes insistent sur le fait que Jérusalem doit être un corpus separatum de gestion internationale et stable, l’Église s’insurge contre les courants juifs faisant de la terre d’Israël un idéal presque messianique… Le fait que les écoles chrétiennes luttent actuellement pour garder leurs subventions est révélateur des enjeux concrets de l’accord de 1993 entre Israël et le Saint-Siège.

(suite de l’article : La reconnaissance de la Palestine)

LOBIT Marc

Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux: comment ça fonctionne?

En 1964, le pape Paul VI instaure le Secrétariat pour les Non-Chrétiens. Il est chargé notamment des relations avec l’Hindouisme, le Bouddhisme et l’Islam. Ce secrétariat trouve sa légitimité dans le Concile Vatican II et sa volonté d’ouvrir l’Eglise. Jean-Paul II demandera à ce dicastère spécial de participer à la préparation de la rencontre interreligieuse d’Assisse (le 27 octobre 1986). Le succès de cette journée amena le Saint-Siège a considérer avec plus d’attention le dialogue entre les religions et, le 28 juin 1988, le Secrétariat pour les Non-Chrétiens devient le Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux (CPDI). Cette nomination élargie la mission de l’ex-secrétariat et en fait aussi le reflet de l’ouverture de l’Eglise au monde. Comment fonctionne donc le CPDI ?

Structure et objectifs.

Le Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux est composé de trois organes.

L’organe de direction est lui-même composé d’une trentaine de personnes (tous cardinaux ou évêques) qui sont membres du CPDI. Il leur appartient de réunir une Assemblée plénière à intervalle régulier (2 à 3 ans) afin de fixer les orientations pour le conseil pontifical et discuter de sujets présentés comme importants.

L’organe exécutif regroupe le personnel travaillant en permanence au CPDI. Ce qui comprend le président (actuellement, le cardinal français Jean-Louis Tauran), le secrétaire, le sous-secrétaire, des assistants administratifs et techniques. On y retrouve aussi divers responsables notamment pour l’Islam, les religions orientales et traditionnelles. L’organe exécutif a pour mission d’appliquer et de mettre en œuvre les directives prises par l’organe directif.

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Cardinal Jean-Louis Tauran
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L’organe consultatif est à disposition du Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux. Il est constitué de trente « Consulteurs », spécialistes de l’étude des religions, qui se réunissent régulièrement, souvent selon la zone continentale de résidence. Par leurs travaux, ils conseillent, informent ou font des propositions au CPDI.

Ainsi structurée, le conseil pontifical a pour objectif de :

  • Promouvoir le dialogue, la collaboration et un respect réciproque entre catholiques et croyants non-chrétiens[1].
  • Favoriser et encourager l’étude des religions.
  • Favoriser la formation des personnes souhaitant se consacrer au dialogue (interreligieux ou non).

Méthodologie du Dialogue.

Pour le Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux, la méthodologie du dialogue se divise en quatre points.

Le premier point est une définition du dialogue. Ce mot implique parole et écoute, don et réception, pour un enrichissement mutuel en partageant sa Foi tout en restant ouvert à celle de l’autre. Ici, le CPDI se défend d’un quelconque prosélytisme. Son but n’est pas de convertir mais d’apprendre à connaitre la religion d’autrui tout en lui présentant la sienne. On est dans un échange entre adeptes et non entre religion. Ce qui suppose de connaitre les points communs et les différences.

Le second point du Dialogue Interreligieux, pour le CPDI, est relationnel. On parle ici d’une relation interne entre le Conseil Pontifical et les différentes commissions instituées par les Eglises locales. Ce sont ses dernières qui sont les principaux relais du CPDI. Elles sont chargées de mettre en place le dialogue au niveau local.

Le troisième point méthodologique du CPDI est la dimension œcuménique du dialogue. En effet, le dicastère est en relation permanente avec le Conseil Mondial des Eglises afin de mettre en place des initiatives. On voit ici la volonté de lier l’ensemble des communautés chrétiennes à la démarche du dialogue interreligieux. Le CPDI et le Saint-Siège considèrent que les catholiques ne sont pas les seuls concernés par cette question.

Quatrième et dernier point, le CPDI se défend de tout acte ou action politique. Il limite ses activités au religieux.

Les activités du Conseil.

Les actions du CPDI se séparent en cinq niveaux.

Premier niveau : la réception de visiteurs. De nombreux représentants des différentes religions se déplacent régulièrement au Vatican. Le Conseil se charge de les accueillir, de les aider dans les différentes démarches que les visiteurs peuvent entreprendre (comme en autre assister à des Audiences générales ou privées avec le pape). Cet accueil est aussi mis à la disposition des évêques catholiques lors de leurs visites « ad limina apostolorum »[2].

Second niveau : les visites. Tout comme des représentants des autres religions viennent à Rome, des responsables du CPDI sont régulièrement amenés à se déplacer pour rencontrer les représentants des religions non-chrétiennes. Le but est double :

  • Favoriser le dialogue interreligieux ;
  • Rencontrer les évêques catholiques du pays visités afin d’obtenir un compte rendu complet de la situation sur place et de promouvoir les échanges avec les autres religions.

Troisième niveau : Les réunions. Ces dernières sont aussi bien internes qu’externes. En effet, le CPDI participe le plus souvent à des rencontres organisées par d’autres organisations, aussi bien au niveau régional qu’international.

Quatrième niveau : les publications. Le Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux publie de nombreux livres, bulletins, et brochures sur le dialogue entre les religions. Ceci a pour but de promouvoir son action, mais aussi de proposer une méthodologie des rencontres interreligieux. De plus, le CPDI donne une liste d’organisation pour le dialogue interreligieux.

Cinquième et dernier niveau : Favoriser le dialogue par les jeunes. C’est dans cette optique que le CPDI est en lien avec la fondation Nostra aetate. Cette dernière accorde une bourse à des jeunes non-catholiques qui souhaitent approfondir leur connaissance du christianisme auprès des institutions académiques pontificales, en vue d’un enseignement sur le christianisme ou d’un engagement dans le dialogue interreligieux.

Le Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux est donc le bureau central du Saint-Siège pour le dialogue avec les religions non-chrétiennes. Il doit promouvoir un dialogue respectueux dans un esprit d’ouverture issu du concile de Vatican II. Il définit une méthodologie reposant sur l’échange entre adeptes et non entre religion, reconnaissant qu’il y a « des parcelles de vérité » dans les autres confessions[3].

François VOUTIER

[1] A noter que les relations avec le Judaïsme ne fait pas parti des missions du CPDI, mais de la Commission pour les Rapports religieux avec le Judaïsme, organe lié au Conseil Pontifical pour la Promotion de l’Unité des Chrétiens.

[2] Visite quinquennale obligatoire à Rome pour les évêques catholiques.

[3] Déclaration « Nostra aetate ».

Une « riposte » diplomatique mondiale?

BD "Quai d'Orsay" - Tous droits réservés

BD « Quai d’Orsay » – Tous droits réservés

Sommes-nous entrés dans l’ère du « tout diplomatique » ? La Russie, droite dans ses bottes comme elle l’a été jusque-là dans le conflit syrien, crée la surprise en offrant une porte de sortie, certes fragile mais totalement inattendue, et reprend la main dans une situation de tension extrême entre les grandes puissances. De son côté le Saint-Siège entreprend une réforme « dans sa manière d’être » plutôt prometteuse avec des nominations de « diplomates » à la tête de la curie. Enfin, l’Iran et l’ « Occident » s’ouvrent à la diplomatie après plus de 30 années de quasi mutisme. Une Russie, un Saint-Siège et un Iran qui prennent en main l’initiative diplomatique… voilà qui devrait poser bien des équations complexes au MAEE qui brille depuis déjà quelques temps par sa constance (certes mais…) dans une politique du Moyen-Orient à la fois incohérente et « audacieuse » (si tant il est audacieux d’être irresponsable). Jugez par vous-même la nomination mûrement réfléchies de diplomates spécialistes du Moyen-Orient en Amérique du Sud, au moment même où l’on a besoin de leur si rare expertise…[1]

Qu’est-ce que la diplomatie ? De l’habilité dans les affaires ? Un esprit de convenance ? Tournons-nous vers un talentueux personnage qui a tant et si bien de fois su retourner sa veste du bon côté, Mr de Talleyrand (1754-1838). Fidèle à un esprit toujours aussi bien acéré, l’illustrissime définissait la diplomatie comme « la forme la plus acceptable de l’hypocrisie ». Même si cette formule lapidaire ne définit pas toutes les subtilités du domaine, elle en esquisse principalement deux : la recherche du compromis (« acceptable ») et… l’imagination et la créativité (deux qualités essentielles pour exceller dans l’art de l’ « hypocrisie »).

Une recherche « obsessionnelle » et imaginative du compromis

Ecoutons maintenant un diplomate français qui restera dans l’histoire comme celui qui au nom de la France a dit « non » à une intervention militaire en Irak en 2003. Pour l’ancien Premier ministre et ministre des Affaires Etrangères (2002-2004) Dominique de Villepin, la diplomatie c’est assumer sa responsabilité morale, politique et humanitaire[2]. Après l’erreur de la « ligne rouge » d’Obama et l’abandon de l’option militaire en Syrie, la diplomatie doit apporter sa réponse, une réponse d’ordre « humanitaire, pénale et politique ». La difficulté première est de comprendre que nous sommes à un moment charnière ou les équilibres du monde sont en train d’être renversés (« dans 10, 20 ans Les Etats-Unis ne seront plus la plus grande puissance mondiale »)… Les grandes puissances ne peuvent agir comme ils l’ont fait depuis toujours en utilisant l’argument de puissance et donc en imposant leurs vues et leurs stratégies. « Il ne faut pas séparer la légitimité de la légalité » – même si les Nations Unies fonctionnent mal.

Ce qui compte c’est la détermination. En évoquant le retard du président Obama à un diner sur la Syrie lors du G20 de Saint-Pétersbourg, De Villepin fustige une attitude allant à l’encontre de l’esprit de négociation qui dévoile une « diplomatie mondiale molle ».  La diplomatie est « quelque chose qui doit devenir obsessionnelle[3], c’est une énergie de tous les instants, il faut être capable faire bouger les lignes. Et aujourd’hui cette diplomatie elle est fataliste, elle est suiviste. Il faut aller chercher la négociation (…) pour montrer qu’il y a un chemin possible. (…). On a tellement le sentiment que la militarisation des esprits fait que dans le fond c’est tellement plus facile de faire la guerre. (…) Le raccourci militaire est enfantin. »

Qu’est-ce que chercher la négociation ? C’est être inventif et imaginatif dans son effort diplomatique. « Il faut que la diplomatie revienne à son essence c’est-à-dire la Realpolitik (« calcule des forces et de l’intérêt national »), il faut renverser la table, ça veut dire regarder avec des yeux neufs, c’est-à-dire s’imprégner de l’histoire. » Nous, européens, avons un passé plus ou moins « digéré », puisons dans notre histoire les enseignements de nos erreurs et de nos succès pour « concevoir » l’avenir avec dynamisme.

Un engagement entre raison et force au service de la vie

Enfin, la diplomatie n’est pas seulement un passe-temps, c’est un engagement qui peut parfois coûter. La gravité de cet engagement est très présente chez Albert Camus (1913-1962). « Je me révolte, donc nous sommes », dans la révolte l’Homme trouve un sens, une issue, à l’absurdité de sa condition. L’œuvre de Camus, sujet à de nombreuses polémiques, revêt aujourd’hui, un siècle après sa naissance, une dimension toute éclairante.

La diplomatie serait une vocation, un engagement. Les « Lettres à un ami allemand »[4] écrites en pleine guerre mondiale, cernent avec acuité intense ce que peut représenter l’idéal diplomatique. Ces lettres sont un hymne à la liberté, celle des « Européens libres » face aux « nazis », un hommage à son pays, et « un document de la lutte contre la violence ».

« Je ne puis croire qu’il faille tout asservir au but que l’on poursuit. Il est des moyens qui ne s’excusent pas. Et je voudrais pouvoir aimer mon pays tout en aimant la justice. Je ne veux pas pour lui de n’importe quelle grandeur, fût-celle du sang et du mensonge. C’est en faisant vivre la justice que je veux le faire vivre. » La diplomatie emprunte la voie de la légalité et de la légitimité. La passion et les grandes valeurs  affleurent mais c’est la raison qui doit avoir le dernier mot.

Cette raison, c’est celle de Pascal (1623-1662) : « deux infinis, milieu ». Se situer avec raison, « au milieu », entre la barbarie de la guerre et l’angélisme de l’idée de « civilisation ». « Car c’est peu de chose que de savoir courir au feu quand on s’y prépare depuis toujours et quand la course vous est plus naturelle que la pensée. (…) C’est beaucoup que de se battre en méprisant la guerre, d’accepter de tout perdre en gardant le goût du bonheur, de courir à la destruction avec l’idée d’une civilisation supérieure. ».

Choisir entre ces deux « infinis » ce n’est pas opter pour le pacifisme. La paix est certes « médiateur » mais la diplomatie ne se confond pas avec le pacifisme. C’est un compromis parfois déchirant. « Nous avons eu à vaincre notre goût de l’homme, l’image que nous nous faisions d’un destin pacifique, cette conviction profonde où nous étions qu’aucune victoire ne paie, alors que toute mutilation de l’homme est sans retour. »

De quel compromis parle-t-on ici exactement ? C’est le compromis entre la raison et la force : « L’esprit uni à l’épée est le vainqueur éternel de l’épée tirée pour elle-même ».

Ce n’est pas chose aisée que de trouver un compromis ! La diplomatie comme « engagement » prend ici tout son sens. Négocier, trouver un compromis nécessite raison, patience, et persévérance. Le prix en est parfois lourd lorsque l’on se trouve au cœur d’un conflit meurtrier, comme c’est le cas de Camus. « C’est le détour que le scrupule de vérité fait faire à l’intelligence, le scrupule d’amitié au cœur. C’est le détour qui a sauvegardé la justice, mis la vérité du côté de ceux qui s’interrogeaient. Et sans doute, nous l’avons payé très cher. » La diplomatie est un effort continu et exigeant qui tend vers la vérité au risque de blâme et de morts… « ce long cheminement qui nous a fait trouver nos raisons, à cette souffrance dont nous avons senti l’injustice et tiré la leçon ».

Mais quel est donc le moteur de la diplomatie ? Pourquoi, au nom de quoi, s’efforcer ? Pour éviter de sombrer dans un certain « romantisme » ou angélisme, j’opterai pour une réponse lapidaire : le moteur de l’engagement diplomatique c’est l’homme, c’est la vie. Un diplomate se doit d’être un « humaniste » en action, placer l’homme au centre. L’homme est un « corps de nuances », la diplomatie doit donc être une recherche de nuances, d’harmonisation et (et oui encore !) de compromis (qui n’est pas « compromission »). «  Nous luttons justement pour des nuances mais des nuances qui ont l’importance de l’homme même. Nous luttons pour cette nuance qui sépare le sacrifice de la mystique, l’énergie de la violence, la force de la cruauté, pour cette plus faible nuance encore qui sépare le faux du vrai et l’homme. »

Enfin, me serait-il permis de faire de ces mots de Camus la devise du master Conflictualité et Médiation de l’UCO :

« Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. »

 

Laurent TESSIER


[2] Emission « Ce soir ou jamais »,  6 septembre 2013, « Intervenir ou pas en Syrie : dilemme ».

[3] Pour mieux saisir ce que veut dire ici Mr De Villepin, la lecture  de la très divertissante BD « Quai d’Orsay » est  largement conseillée. L’intégrale est à paraître le 4 octobre 2013 : BLAIN, Christophe et LANZAC, Abel. Quai d’Orsay : chroniques diplomatiques. L’intégrale. Paris : Dargaud, 2013.

[4]  4 lettres écrites entre juillet 1943 et juillet 1944. CAMUS, Albert. Lettres à un ami allemand. Paris : Gallimard, 1991 (Folio).

A-t-on oublié les Chrétiens d’Orient?

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En Egypte, depuis le début de la révolution entre 60 000 et 100 000 coptes (plus grande communauté chrétienne d’Egypte) auraient fui. Lors de la chute de Saddam Hussein, les chrétiens d’Irak étaient environ 1,2 million, aujourd’hui ils seraient moins de 500.000, et beaucoup continuent de partir. En Syrie, la situation est similaire, en démontre le récent enlèvement de deux évêques syriens. Cet exode en direction, principalement des Etats-Unis et du Canada, rappelle des heures biens sombres de notre histoire.

La diplomatie vaticane a mis l’accent sur la situation d’urgence dans laquelle se trouvent les Chrétiens d’Orient. Lors de son voyage au Liban le pape Benoit XVI, a remis aux évêques du Moyen-Orient ainsi qu’aux autorités religieuses musulmanes l’exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Medio Oriente qui est non seulement le fruit des réflexions du Synode des évêques pour le Moyen-Orient (octobre 2010) mais aussi et surtout « un document qui répond à l’actualité et à la situation de détresse des minorités chrétiennes au Moyen-Orient »[1]. Le cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil Pontifical pour le dialogue interreligieux, interrogé, le 6 avril 2012 par la chaîne qatari Al-Jazeera[2], sur les raisons qui poussent actuellement les chrétiens à fuir le Moyen-Orient a souligné l’importance de leur présence pour la région. « Les chrétiens partagent le destin des peuples de la région. Et là où la paix n’existe pas, ils souffrent. Leur grande tentation est d’émigrer, parce que le processus de paix n’avance pas. Mais si les chrétiens quittent le Moyen Orient, ce sera une tragédie, parce qu’ils quitteront la terre qui les a vu naître. Les chrétiens ont toujours vécu au Moyen Orient. S’ils s’en vont, les Lieux Saints deviendront un musée et ce sera une catastrophe ». Il est urgent de stopper ce qu’il qualifie d’ « hémorragie » encouragée par le sentiment, parmi les minorités chrétiennes, d’être considérés comme des « citoyens de seconde classe ». Le danger principal vient de « l’analphabétisme religieux » : « Nous sommes parvenus à éviter le choc des civilisations, évitons le choc des ignorances ». Sans connaissance de soi et de l’autre, aucun dialogue n’est possible. Cependant les mouvements de soulèvements populaires du « Printemps arabes » pourraient éclaircir un avenir bien sombre : « ces aspirations, nées chez des jeunes en recherche de dignité, de liberté et de travail, sont bonnes et partagées tant par les chrétiens que par les musulmans ».

C’est malheureusement sans compter sur l’évolution du « Printemps arabe ». Ce mouvement populaire n’est pas religieux, il est avant tout basé sur des revendications sociales, ce n’est que plus tardivement que les mouvements fondamentalistes religieux musulmans s’y sont insérés, faisant tourner la confusion et l’anarchie à leur avantage. Les Chrétiens en tant que minorités sont pris entre deux feux. Souvent identifiés comme soutien du régime, et donc montrés du doigt tel est le cas en Syrie, parce que leur statut de minorité était protégé, ils sont aussi menacés par l’essor des groupes islamistes dont les premières victimes sont les musulmans eux-mêmes. Victimes collatérales ou véritable « nettoyage ethnique » ? Ce qui est certain est que les chrétiens, en tant que minorité, sont un facteur de stabilité, leur présence est un signe visible d’un relatif « espace de liberté ». Une présence signe de liberté et d’espoir, comparable, dans la nature, à la présence de certaines plantes ou de certains oiseaux qui nous indique l’état de la faune et de la flore.

Par cette urgence, qui ne semble pas véritablement mobiliser des actions concrètes de la part de la communauté internationale, on est en droit de se poser des questions sur la stratégie française. Où sont les orientalistes français ? Quelle place leur accorde-t-on ? Pour tenter de comprendre la prise de position indécise de la France, je renvoie à un article du bloc de Georges Malbrunot[3]. Comment ne pas s’indigner avec passion, à l’image de Gilles Kepel[4], orientaliste de renom dont le réseau d’élève essaime aujourd’hui un peu partout, qui  « n’oublie pas la dissolution de la chaire « monde arabe » à Sciences Po en décembre 2010, au moment même où Mohamed Bouazizi s’immolait en Tunisie »[5]. Situation des plus absurdes ! La France avait une « chance » de s’impliquer dans le conflit syrien de par son histoire[6] et ses liens culturels, mais aussi et surtout par son statut de protecteur des chrétiens d’Orient. Le patriarche maronite libanais, le cardinal Béchara Raï, célébrait le 1er avril 2013, l’amitié franco libanaise en présence de l’ambassadeur de France au Liban. A cette occasion, dans l’un de ses discours il rappelait l’origine de cette tradition française qui prend racine dans une charte du roi saint Louis envoyée le 24 mai 1250 au patriarche maronite. Cette charte avait été réaffirmée en 1649 par Louis XIV tandis que, en 1919, le président du Conseil Georges Clemenceau assurait au patriarche Elias Hoyek « que le gouvernement de la République demeurait invariablement attaché aux traditions de mutuel dévouement établies depuis des siècles entre la France et le Liban »[7]. Force est de constater que cette tradition a été rompue, et que l’indécision française a essuyé un échec : « Lors d’une récente visite à des communautés chrétiennes de Syrie, l’ambassadeur de France à Damas, Eric Chevalier a été accueilli par une forêt de drapeaux russes, une façon de lui signifier que la France avait perdu au profit de la Russie son statut de protectrice des Chrétiens d’Orient. [8]»

En sera-t-il de même compte tenu de la situation humanitaire catastrophique ?

Laurent Tessier


[1] Conférence de l’Institut pontifical d’études arabes et d’islamologie (PISAI), 17 mai 2013, intitulée  « The Arab Spring outside in » tenue par S.E.R. Michael L. Fitzgerald., président émérite du Conseil Pontifical pour le dialogue interreligieux (2002-2006) et nonce apostolique en Egypte et délégué auprès de la Ligue arabe à partir de 2006.

[4] C.f.  Passion arabe. Journal, 2011-2013, de Gilles Kepel, Gallimard, (« Témoins ») : récit de voyage au cœur du « Printemps arabe », témoignage passionnant et éclairant, absolument recommandé

[6] La Syrie fut placée par la Société des Nations sous mandat français de 1920 à 1946.

[8] http://blog.lefigaro.fr/geopolitique/2011/11/le-printemps-arabe-accelere-le.html