Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux: comment ça fonctionne?

En 1964, le pape Paul VI instaure le Secrétariat pour les Non-Chrétiens. Il est chargé notamment des relations avec l’Hindouisme, le Bouddhisme et l’Islam. Ce secrétariat trouve sa légitimité dans le Concile Vatican II et sa volonté d’ouvrir l’Eglise. Jean-Paul II demandera à ce dicastère spécial de participer à la préparation de la rencontre interreligieuse d’Assisse (le 27 octobre 1986). Le succès de cette journée amena le Saint-Siège a considérer avec plus d’attention le dialogue entre les religions et, le 28 juin 1988, le Secrétariat pour les Non-Chrétiens devient le Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux (CPDI). Cette nomination élargie la mission de l’ex-secrétariat et en fait aussi le reflet de l’ouverture de l’Eglise au monde. Comment fonctionne donc le CPDI ?

Structure et objectifs.

Le Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux est composé de trois organes.

L’organe de direction est lui-même composé d’une trentaine de personnes (tous cardinaux ou évêques) qui sont membres du CPDI. Il leur appartient de réunir une Assemblée plénière à intervalle régulier (2 à 3 ans) afin de fixer les orientations pour le conseil pontifical et discuter de sujets présentés comme importants.

L’organe exécutif regroupe le personnel travaillant en permanence au CPDI. Ce qui comprend le président (actuellement, le cardinal français Jean-Louis Tauran), le secrétaire, le sous-secrétaire, des assistants administratifs et techniques. On y retrouve aussi divers responsables notamment pour l’Islam, les religions orientales et traditionnelles. L’organe exécutif a pour mission d’appliquer et de mettre en œuvre les directives prises par l’organe directif.

Cardinal Jean-Louis Tauran c(DR)

Cardinal Jean-Louis Tauran
c(DR)

L’organe consultatif est à disposition du Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux. Il est constitué de trente « Consulteurs », spécialistes de l’étude des religions, qui se réunissent régulièrement, souvent selon la zone continentale de résidence. Par leurs travaux, ils conseillent, informent ou font des propositions au CPDI.

Ainsi structurée, le conseil pontifical a pour objectif de :

  • Promouvoir le dialogue, la collaboration et un respect réciproque entre catholiques et croyants non-chrétiens[1].
  • Favoriser et encourager l’étude des religions.
  • Favoriser la formation des personnes souhaitant se consacrer au dialogue (interreligieux ou non).

Méthodologie du Dialogue.

Pour le Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux, la méthodologie du dialogue se divise en quatre points.

Le premier point est une définition du dialogue. Ce mot implique parole et écoute, don et réception, pour un enrichissement mutuel en partageant sa Foi tout en restant ouvert à celle de l’autre. Ici, le CPDI se défend d’un quelconque prosélytisme. Son but n’est pas de convertir mais d’apprendre à connaitre la religion d’autrui tout en lui présentant la sienne. On est dans un échange entre adeptes et non entre religion. Ce qui suppose de connaitre les points communs et les différences.

Le second point du Dialogue Interreligieux, pour le CPDI, est relationnel. On parle ici d’une relation interne entre le Conseil Pontifical et les différentes commissions instituées par les Eglises locales. Ce sont ses dernières qui sont les principaux relais du CPDI. Elles sont chargées de mettre en place le dialogue au niveau local.

Le troisième point méthodologique du CPDI est la dimension œcuménique du dialogue. En effet, le dicastère est en relation permanente avec le Conseil Mondial des Eglises afin de mettre en place des initiatives. On voit ici la volonté de lier l’ensemble des communautés chrétiennes à la démarche du dialogue interreligieux. Le CPDI et le Saint-Siège considèrent que les catholiques ne sont pas les seuls concernés par cette question.

Quatrième et dernier point, le CPDI se défend de tout acte ou action politique. Il limite ses activités au religieux.

Les activités du Conseil.

Les actions du CPDI se séparent en cinq niveaux.

Premier niveau : la réception de visiteurs. De nombreux représentants des différentes religions se déplacent régulièrement au Vatican. Le Conseil se charge de les accueillir, de les aider dans les différentes démarches que les visiteurs peuvent entreprendre (comme en autre assister à des Audiences générales ou privées avec le pape). Cet accueil est aussi mis à la disposition des évêques catholiques lors de leurs visites « ad limina apostolorum »[2].

Second niveau : les visites. Tout comme des représentants des autres religions viennent à Rome, des responsables du CPDI sont régulièrement amenés à se déplacer pour rencontrer les représentants des religions non-chrétiennes. Le but est double :

  • Favoriser le dialogue interreligieux ;
  • Rencontrer les évêques catholiques du pays visités afin d’obtenir un compte rendu complet de la situation sur place et de promouvoir les échanges avec les autres religions.

Troisième niveau : Les réunions. Ces dernières sont aussi bien internes qu’externes. En effet, le CPDI participe le plus souvent à des rencontres organisées par d’autres organisations, aussi bien au niveau régional qu’international.

Quatrième niveau : les publications. Le Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux publie de nombreux livres, bulletins, et brochures sur le dialogue entre les religions. Ceci a pour but de promouvoir son action, mais aussi de proposer une méthodologie des rencontres interreligieux. De plus, le CPDI donne une liste d’organisation pour le dialogue interreligieux.

Cinquième et dernier niveau : Favoriser le dialogue par les jeunes. C’est dans cette optique que le CPDI est en lien avec la fondation Nostra aetate. Cette dernière accorde une bourse à des jeunes non-catholiques qui souhaitent approfondir leur connaissance du christianisme auprès des institutions académiques pontificales, en vue d’un enseignement sur le christianisme ou d’un engagement dans le dialogue interreligieux.

Le Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux est donc le bureau central du Saint-Siège pour le dialogue avec les religions non-chrétiennes. Il doit promouvoir un dialogue respectueux dans un esprit d’ouverture issu du concile de Vatican II. Il définit une méthodologie reposant sur l’échange entre adeptes et non entre religion, reconnaissant qu’il y a « des parcelles de vérité » dans les autres confessions[3].

François VOUTIER

[1] A noter que les relations avec le Judaïsme ne fait pas parti des missions du CPDI, mais de la Commission pour les Rapports religieux avec le Judaïsme, organe lié au Conseil Pontifical pour la Promotion de l’Unité des Chrétiens.

[2] Visite quinquennale obligatoire à Rome pour les évêques catholiques.

[3] Déclaration « Nostra aetate ».

InterFaith Tour, le tour du monde inter-religieux des jeunes

Victor, Ilan, Ismaël, Samuel et Josselin

Victor, Ilan, Ismaël, Samuel et Josselin

Ce mardi 3 juin,  le groupe angevin de l’association Coexister accueillera l’InterFaith Tour afin de mettre en avant l’initiative de cinq jeunes autour du monde. Une conférence aura lieu à 20h30 à l’Université d’Angers, dans l’amphithéâtre Bodin (Campus Saint-Serge) pour présenter leur projet au public dans le cadre de leur tour de France de l’inter-religieux.

Entre les mois de juin 2013 et avril 2014, cinq jeunes (un agnostique, un athée, un chrétien, un juif et un musulman) ont réalisé un tour du monde nommé « InterFaith Tour ». Ce projet leur a permis d’aller à la rencontre d’actions inter-religieuses sur tous les continents et de promouvoir le concept de coexistence active.

Tout part d’un constat : aujourd’hui , les religions sont souvent présentées comme étant en conflit. En France comme dans le reste du monde, les minorités qui se radicalisent sont souvent mises en avant par des médias au détriment de celles qui coopèrent et vivent ensemble. Les cinq jeunes de l’InterFaith Tour ont choisi de montrer qu’il est possible d’aller à la rencontre de l’autre, de coexister dans le respect et  la compréhension. L’idée  est donc de montrer qu’un échange actif et réel est possible entre les différentes cultures et religions en allant à la rencontre des acteurs qui œuvrent dans ce sens à travers le monde.

Ce projet s’est construit avec une vision internationale, afin de porter un message fort. Alliant mobilité et approfondissement, les cinq jeunes de l’InterFaith Tour ont choisi de cibler cinq lieux clés dans lesquels ils sont restés un mois (à Jérusalem, en Turquie, en Inde, à Singapour et aux Etats-Unis). Entre ces déplacements, ils ont traversé les continents et sont allés à la rencontre d’initiatives locales en Europe, en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud. Cela dit, l’équipe d’InterFaith Tour s’est aussi appuyée sur des organisations inter-religieuses plus importantes comme la Tony Blair Faith Foundation, Religions for Peace ou encore World Faith.

Suite à ce tour du Monde, Samuel, Josselin, Victor, Ismaël et Ilan ont choisi de prolonger leur périple afin de partager leur expérience en réalisant un tour de France de l’inter-religieux. Ils parcourent donc les routes de France afin d’aller à la rencontre des Français depuis le 5 mai. Leur souhait, au-delà de la restitution du voyage, est de venir à la rencontre des initiatives inter-religieuses et de promouvoir, en France, le travail de l’association Coexister, le mouvement inter-religieux des jeunes. Il faut en effet souligner qu’au-delà de l’aspect religieux, ces cinq jeunes portent un message d’espoir qui peut servir d’exemple pour la jeunesse.

Ayant déjà réalisé plusieurs conférences à travers la France depuis le 5 mai et rencontré des acteurs locaux, des personnalités politiques (comme Laurent Fabius au Ministère des Affaires étrangères) ou divers médias (RTL, Ouest France, … ), ils poursuivent leur aventure jusqu’au 3 juillet. Ainsi, nous pourrons les retrouver dans l’Ouest à Angers le 3 juin, à Nantes le 4 et dans le reste de la France pour des rencontres enrichissantes.

Ronan Hélou

« Le Combat des Chrétiens du Levant »

Messe en Syrie (Tous droits réservés)

Messe en Syrie (Tous droits réservés)

Un film documentaire récemment diffusé sur KTO[1] propose un point de vue rare et précieux sur les communautés chrétiennes de Syrie et du Liban. Pour la première fois un patriarche des Chrétiens du Moyen-Orient a ouvert ses portes pour une excursion au cœur de la vie quotidienne des chrétiens dans le conflit qui secoue la Syrie et toute sa région. Le constat de départ est frappant : Après deux ans de combats, personne ne sait quelle proportion de la population soutient encore cette révolution instrumentalisée de toute part à Damas, Moscou et Washington ». Malgré des siècles d’histoire chrétienne les Chrétiens sont devenus une minorité « prise en tenaille entre la radicalisation de la rébellion et un régime protecteur[2] désormais honnis à leurs yeux ».

 

Les chrétiens sont peu entendus et peu écoutés. Ils sont pourtant une « une composante essentielle du tissu social syrien » : 10% de la population, une communauté réputée « active, éduquée et commerçante ». Au Liban, les Chrétiens représentent 30 % de la population et « peuvent encore démontrer leur neutralité » dans une société pluriconfessionnelle. De plus, La terre arabe est une terre biblique. « A Damas, une des plus vieilles villes continuellement habitées, des grand chapitres de l’histoire des monothéismes s’y sont écris pour ensuite prospérer dans le monde ». En 2001, Bachar el-Assad a lui-même reconnu la Syrie comme « berceau du christianisme ». Autrefois plus nombreux, les chrétiens sont devenus une minorité dont l’avenir est questionné par ce qui semble être l’avènement de l’Islam politique

Dans une révolution qui est devenue une guerre civile prenant de plus en plus les traits d’une guerre communautaire entre deux frères ennemis – les Sunnites soutenus par le Qatar et l’Arabie Saoudite (puissance pétrodollars) et les Chiites par l’Iran et le Hezbollah –, quelle position les Chrétiens peuvent-ils adopter ? Ces derniers expriment leur méfiance face à la révolution, tout en y participant et en désirant des changements. Ils ont cependant de plus en plus de mal à défendre leur neutralité face à l’éventualité d’un régime confessionnel. Le défi majeur est d’adopter une marche à suivre commune, malgré les divisions chrétiennes, pour parler d’une seule voix et réaffirmer le rôle des communautés chrétiennes dans la société syrienne. Les Chrétiens veulent bâtir des ponts, être médiateurs, représenter la troisième voie : « réunir par le dialogue et légitimer la coexistence ». Le rôle que l’Eglise se fixe est d’autant plus difficile et improbable que les objectifs sont immenses : « faire tomber un homme, Bachar el-Assad, et une idéologie, l’idéologie baassiste. »

Les tensions communautaires entraînées par ce conflit impactent toute la région, à commencer par le voisin libanais. Ce pays est déstabilisé au rythme des conflits régionaux par l’afflux des réfugiés : Palestiniens, Irakiens et aujourd’hui Syriens.  Dans la plaine de la Bekaa, refuge des Syriens, ceux qu’on appelle « les déplacés » vivent dans la peur d’être dénoncer (le Hezbollah contrôlerait Beyrouth), ils sont parmi les plus pauvres et vivent leur exil dans la misère et l’intolérance. Ces réfugiés, qui affluent massivement dans un pays de 4 millions de Libanais « réaniment bien malgré eux le spectre du sectarisme ». D’autant que le souvenir des 15 années de guerre civile, entache toujours les cœurs de la haine et de l’esprit de vengeance.

Dans « un conflits devenu sectaire, où l’on égorge les gens d’après leur religion », les chrétiens agissent par le biais d’organisations humanitaires confessionnelles. L’exemple du docteur Simon Kolanjian, chrétien, de Caritas Liban : « En Syrie, les chrétiens et les musulmans vivent ensemble. Le travail que font les organisations humanitaires chrétiennes comme Caritas et l’ONU montre que les Chrétiens sont amis des Musulmans, et ça où qu’ils soient, au Liban ou en Syrie. C’est la preuve que nous pouvons vivre tous ensemble, sans aucun problème. » Ce médecin part soigner dans les villages de toute confession. Dans le village de Younine (nord Liban), tenu par le Hezbollah, il est l’unique médecin du village, le Hezbollah paie pour ses consultations. Une habitante du village confie à propos du docteur Kolanjian « que l’on soit chrétien ou musulman, l’important pour la qualité de nos relations c’est l’éthique et non la religion. De toute façon nous sommes tous libanais dans un seul pays. Il n’y a pas de différence entre nous, il fait partie de la famille, on sent qu’il est avec nous, ce n’est pas un étranger. » Pourtant le médecin Kolanjian, venait annoncer son départ. Au motif (pudiquement faussé) de vouloir gagner plus d’argent parce qu’il travaille bénévolement, en réalité il part pour sa sécurité, le conflit syrien faisant craindre le pire dans la région.

En Syrie, au cœur du conflit, le patriarche melkite Grégoire III Laham[3], décrit la situation des chrétiens : « peu sont partis de Syrie mais on dénombre 200 000 déplacés à l’intérieur de la Syrie. Ceux qui se sont exilés sont partis au Liban proche, chrétiens, chez des amis ou en famille ». La mission du patriarche qui réside à Damas est de faire entendre la voix de l’Eglise. Il est le signe visible de la présence et de l’action de l’Eglise (cela passe notamment par la construction d’hôpitaux). « C’est en pasteur qu’il informe, pousse au dialogue, et milite en acteur à part entière ». Il dénonce cette révolution transformée en guerre civile par la haine. « On parle de mort et des déplacés mais on ne parle pas de la haine dans les villages ou chrétiens, chiites, sunnites et alaouites vivaient en paix et avaient des projets en communs. » Le patriarche décrit les chrétiens comme indépendants, jouissant d’une liberté de parole et très engagés dans la société. Son appel résonne par son intransigeance : « ce n’est plus le temps du oui ou du non au régime, maintenant nous sommes pour la paix ou la guerre. (…) En France et ailleurs, qu’ils nous écoutent plus nous les pasteurs. Qu’ils voient plus les réalités, et qu’ils travaillent, œuvrent avec nous pour la paix, la réconciliation devant leurs gouvernements. Qu’ils écoutent nos voix, nos rapports et qu’eux disent aux gouvernements : « voilà la réalité qu’il y a en Syrie, écoutez les pasteurs de l’Eglise en Syrie et œuvrez comme eux pour la réconciliation et la paix, et pas d’arme, pas de violence, la paix, la paix, la paix !! »

Agir rapidement et œuvrer pour le dialogue interreligieux voilà une nécessité. Pour l’ONG Relief and Reconciliation for Syria (http://www.reliefandreconciliation.org/index.html), il faut « éviter le pire en conciliant aide pratique et travaux de réconciliation ». Écouter tout le monde, travailler avec des autorités morales locales, unis autour d’une cause commune pour recréer les liens brisés. Malgré tout, pour Friedrich Bokern de l’ONG R&RS, ce « travail de longue haleine fait de rencontres et de discussion » se heurte à la réticence des plus radicaux. « On ne travaille qu’avec ceux qui sont vraiment prêts à s’ouvrir au principe du dialogue ».

Laurent Tessier


[1] http://www.ktotv.com/videos-chretiennes/emissions/nouveautes/documentaire-le-combat-des-chretiens-du-levant/00070748 (« Le combat des Chrétiens du Levant », coproduction KTO / Grand Angle Productions.Réalisé par Marc Watterlot, 2012.)

[2] Depuis l’indépendance syrienne en 1946, le parti Baas (dont Bachar El-Assad est le dernier représentant) est le protecteur des minorités chrétiennes. Le parti Baas a été crée en Syrie en 1947 par le chrétien Michel Aflak fondant l’identité nationale autour d’une langue, l’arabe, et un principe, la laïcité.

[3] Depuis 2000, « Patriarche d’Antioche et de tout l’Orient, d’Alexandrie et de Jérusalem des melkites ». L’Eglise grecque-catholique melkite rattachée à Rome au XVIIIème siècle rassemble plus d’1,5 million de fidèles principalement entre le Liban et la Syrie.

Une vraie politique étrangère pour un meilleur dialogue interreligieux !

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« Depuis la chute du Mur… ». Tous les cours d’introduction à la géopolitique commencent par ce fameux 9 novembre 1989, le jour où un mur est tombé bouleversant la dichotomie Est-Ouest. Depuis plus de 20 ans, le mur ne cesse tombé… et ensuite ? Quelle vision du monde en est sortie ? Les schémas se succèdent, les experts avancent et hésitent. Qu’en est-il des Etats-Unis « gendarme du monde » ? Qu’en est-il des pays émergents ? Nord-Sud, Est-Ouest… La Mondialisation avez-vous dit ? La chute du rideau de fer a brisé un schéma « confortable », sinon mis en lumière une complexité du monde qui ne date pas d’hier. Sans aucune vision claire du monde (en est-il seulement possible ?), les politiques étrangères des Etats sont vulnérables et victimes des contingences de l’Histoire. Elles avancent à tâtons dans un monde toujours plus complexe. Comment ne pas souligner, encore une fois, l’échec des politiques étrangères occidentales face à l’ « inattendu » Printemps arabe. Certes on ne peut tout prévoir, mais force est de constater que, non seulement la lecture de ce qui est véritablement un « évènement » reste péniblement insatisfaisante, mais aussi que l’implication (sous n’importe quelle forme que ce soit), ne serait-ce de la France et de l’Europe, est aujourd’hui déraisonnable.

Dans un article de La Croix (10 juin 2013), Bertrand Badie, spécialiste des relations internationales, ose poser cette question : « La France a-t-elle une politique étrangère ? ». « Nous sommes dans une monde total et inclusif et orientons notre diplomatie vers l’exclusion de tous ceux, nombreux, qu’à tort ou à raison, nous n’aimons pas. Nous construisons notre diplomatie sur une vocation obsessionnelle de juge suprême et de redresseur de torts, en oubliant que le premier de ceux-ci est de ne pas reconnaître l’autre… (…) Pourtant une analyse attentive du monde tel qu’il est montre l’urgence de la construction de nouveaux principes. (…) Elle a conféré à de nouvelles puissances des capacités diplomatiques décisives capables de nous offrir des partenariats précieux. » L’ouverture à l’autre, à ceux qui pèsent sur le monde, mais qui jusqu’alors n’ont pas voix au chapitre : les nouveaux acteurs comme les ONG et de manière générale les acteurs locaux qui, dans la configuration des conflits contemporains essentiellement intra-étatique, jouent un rôle central. Comment insérer des acteurs locaux dans le concert étatique de la diplomatie ? Un principe complexe, une démarche simple : une politique de la rencontre et du dialogue.

Parmi les différents dialogues possibles, il en est un qui est essentiel parce qu’il touche le cœur de la personne, c’est le dialogue interreligieux qui est aussi dialogue entre cultures.  Les obstacles sont nombreux mais la promesse est belle. Le 10 juin 2013, le cardinal Tauran, Président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, rappelait avec amertume et force les tensions et les ambiguïtés qui minent le dialogue entre chrétiens et musulmans. « Il y a des sujets, comme les conversions, sur lesquels on  ne peut pas traiter avec nos partenaires[1] ». Pour le P. Jean-Jacques Pérennès de l’Institut dominicain d’études orientales (Caire), «si les chrétiens commencent par discuter des questions religieuses avec les musulmans, très vite les sensibilités sont exacerbées et on aboutit à des désaccords. Alors que sur le plan culturel, le patrimoine commun est considérable.[2]»

Nombreuses sont les critiques portées contre une pratique du dialogue jugée, par les différentes parties prenantes, comme manquant parfois d’honnêteté. C’est dans la réponse à cette critique qu’il faut aborder les différents niveaux de dialogue : l’international et le local. A l’international, le dialogue a lieu entre des représentants institutionnels et religieux dans le cadre d’organisations internationales où les questions de politiques orientent les intérêts de chacun. En dépit des critiques portant réciproquement sur l’honnêteté de telle ou telle partie prenante au dialogue, l’importance est la permanence du contact qui est un signe positif envoyé aux acteurs locaux d’un dialogue «quotidien». Et c’est donc au niveau local, au plus proche des réalités concrètes de la vie, que le dialogue s’opère véritablement. C’est dans ce sens que le pape Benoit XVI a défini le dialogue interreligieux, un dialogue d’éthique et de proximité : « Dans la situation actuelle de l’humanité, le dialogue des religions est une condition nécessaire pour la paix dans le monde, et il est par conséquent un devoir pour les chrétiens comme aussi pour les autres communautés religieuses. Ce dialogue des religions a différentes dimensions. Avant tout, il sera simplement un dialogue de la vie, un dialogue du partage pratique. On n’y parlera pas des grands thèmes de la foi – si Dieu est trinitaire ou comment il faut comprendre l’inspiration des Saintes Écritures etc. Il s’agit des problèmes concrets de la cohabitation et de la responsabilité commune pour la société, pour l’État, pour l’humanité. En cela, on doit apprendre à accepter l’autre dans sa diversité d’être et de pensée.[3]  »

Le dialogue interreligieux a pour objectif une harmonisation et une compréhension mutuelle renforcée dans l’espoir d’une cohabitation pacifiée. C’est un outil de médiation, agissant depuis la base locale jusqu’aux représentations internationales, auquel on recourt pour résoudre les violences intercommunautaires et les conflits de plus grandes ampleurs. Encore une fois, le local occupe une place centrale dans le processus de pacification. « Pour enrichir et rendre effectif les projets de paix universelle, il conviendrait certainement d’y ajouter des projets de paix locale. La paix locale est une contribution obligatoire pour arriver à la paix universelle. Nous savons que l’homme est un être social fait pour vivre en communauté. Et, c’est d’abord dans la communauté qui est une petite société, que nous devons trouver des modèles ou des enseignements pour vivre en paix[4]. »

Laurent Tessier


[2] « Soixante ans de dialogue avec le monde musulman », La Croix du 7 juin 2013.

[3] Discours du pape Benoit XVI à l’occasion de la présentation des vœux de Noël de la curie romaine, salle Clémentine, vendredi 21 décembre 2012

A-t-on oublié les Chrétiens d’Orient?

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En Egypte, depuis le début de la révolution entre 60 000 et 100 000 coptes (plus grande communauté chrétienne d’Egypte) auraient fui. Lors de la chute de Saddam Hussein, les chrétiens d’Irak étaient environ 1,2 million, aujourd’hui ils seraient moins de 500.000, et beaucoup continuent de partir. En Syrie, la situation est similaire, en démontre le récent enlèvement de deux évêques syriens. Cet exode en direction, principalement des Etats-Unis et du Canada, rappelle des heures biens sombres de notre histoire.

La diplomatie vaticane a mis l’accent sur la situation d’urgence dans laquelle se trouvent les Chrétiens d’Orient. Lors de son voyage au Liban le pape Benoit XVI, a remis aux évêques du Moyen-Orient ainsi qu’aux autorités religieuses musulmanes l’exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Medio Oriente qui est non seulement le fruit des réflexions du Synode des évêques pour le Moyen-Orient (octobre 2010) mais aussi et surtout « un document qui répond à l’actualité et à la situation de détresse des minorités chrétiennes au Moyen-Orient »[1]. Le cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil Pontifical pour le dialogue interreligieux, interrogé, le 6 avril 2012 par la chaîne qatari Al-Jazeera[2], sur les raisons qui poussent actuellement les chrétiens à fuir le Moyen-Orient a souligné l’importance de leur présence pour la région. « Les chrétiens partagent le destin des peuples de la région. Et là où la paix n’existe pas, ils souffrent. Leur grande tentation est d’émigrer, parce que le processus de paix n’avance pas. Mais si les chrétiens quittent le Moyen Orient, ce sera une tragédie, parce qu’ils quitteront la terre qui les a vu naître. Les chrétiens ont toujours vécu au Moyen Orient. S’ils s’en vont, les Lieux Saints deviendront un musée et ce sera une catastrophe ». Il est urgent de stopper ce qu’il qualifie d’ « hémorragie » encouragée par le sentiment, parmi les minorités chrétiennes, d’être considérés comme des « citoyens de seconde classe ». Le danger principal vient de « l’analphabétisme religieux » : « Nous sommes parvenus à éviter le choc des civilisations, évitons le choc des ignorances ». Sans connaissance de soi et de l’autre, aucun dialogue n’est possible. Cependant les mouvements de soulèvements populaires du « Printemps arabes » pourraient éclaircir un avenir bien sombre : « ces aspirations, nées chez des jeunes en recherche de dignité, de liberté et de travail, sont bonnes et partagées tant par les chrétiens que par les musulmans ».

C’est malheureusement sans compter sur l’évolution du « Printemps arabe ». Ce mouvement populaire n’est pas religieux, il est avant tout basé sur des revendications sociales, ce n’est que plus tardivement que les mouvements fondamentalistes religieux musulmans s’y sont insérés, faisant tourner la confusion et l’anarchie à leur avantage. Les Chrétiens en tant que minorités sont pris entre deux feux. Souvent identifiés comme soutien du régime, et donc montrés du doigt tel est le cas en Syrie, parce que leur statut de minorité était protégé, ils sont aussi menacés par l’essor des groupes islamistes dont les premières victimes sont les musulmans eux-mêmes. Victimes collatérales ou véritable « nettoyage ethnique » ? Ce qui est certain est que les chrétiens, en tant que minorité, sont un facteur de stabilité, leur présence est un signe visible d’un relatif « espace de liberté ». Une présence signe de liberté et d’espoir, comparable, dans la nature, à la présence de certaines plantes ou de certains oiseaux qui nous indique l’état de la faune et de la flore.

Par cette urgence, qui ne semble pas véritablement mobiliser des actions concrètes de la part de la communauté internationale, on est en droit de se poser des questions sur la stratégie française. Où sont les orientalistes français ? Quelle place leur accorde-t-on ? Pour tenter de comprendre la prise de position indécise de la France, je renvoie à un article du bloc de Georges Malbrunot[3]. Comment ne pas s’indigner avec passion, à l’image de Gilles Kepel[4], orientaliste de renom dont le réseau d’élève essaime aujourd’hui un peu partout, qui  « n’oublie pas la dissolution de la chaire « monde arabe » à Sciences Po en décembre 2010, au moment même où Mohamed Bouazizi s’immolait en Tunisie »[5]. Situation des plus absurdes ! La France avait une « chance » de s’impliquer dans le conflit syrien de par son histoire[6] et ses liens culturels, mais aussi et surtout par son statut de protecteur des chrétiens d’Orient. Le patriarche maronite libanais, le cardinal Béchara Raï, célébrait le 1er avril 2013, l’amitié franco libanaise en présence de l’ambassadeur de France au Liban. A cette occasion, dans l’un de ses discours il rappelait l’origine de cette tradition française qui prend racine dans une charte du roi saint Louis envoyée le 24 mai 1250 au patriarche maronite. Cette charte avait été réaffirmée en 1649 par Louis XIV tandis que, en 1919, le président du Conseil Georges Clemenceau assurait au patriarche Elias Hoyek « que le gouvernement de la République demeurait invariablement attaché aux traditions de mutuel dévouement établies depuis des siècles entre la France et le Liban »[7]. Force est de constater que cette tradition a été rompue, et que l’indécision française a essuyé un échec : « Lors d’une récente visite à des communautés chrétiennes de Syrie, l’ambassadeur de France à Damas, Eric Chevalier a été accueilli par une forêt de drapeaux russes, une façon de lui signifier que la France avait perdu au profit de la Russie son statut de protectrice des Chrétiens d’Orient. [8]»

En sera-t-il de même compte tenu de la situation humanitaire catastrophique ?

Laurent Tessier


[1] Conférence de l’Institut pontifical d’études arabes et d’islamologie (PISAI), 17 mai 2013, intitulée  « The Arab Spring outside in » tenue par S.E.R. Michael L. Fitzgerald., président émérite du Conseil Pontifical pour le dialogue interreligieux (2002-2006) et nonce apostolique en Egypte et délégué auprès de la Ligue arabe à partir de 2006.

[4] C.f.  Passion arabe. Journal, 2011-2013, de Gilles Kepel, Gallimard, (« Témoins ») : récit de voyage au cœur du « Printemps arabe », témoignage passionnant et éclairant, absolument recommandé

[6] La Syrie fut placée par la Société des Nations sous mandat français de 1920 à 1946.

[8] http://blog.lefigaro.fr/geopolitique/2011/11/le-printemps-arabe-accelere-le.html